The Kills : L'amour qui fait boom
Musique

The Kills : L’amour qui fait boom

Duo sexy et délicieusement malsain, les Kills évitent la redite sur leur troisième album, l’excellent Midnight Boom. L’art de se renouveler sans perdre sa crédibilité.

Pour qui a déjà fait l’expérience des Kills sur scène, les qualificatifs "intensité" et "sensualité" reviennent immanquablement. Le duo composé de la chanteuse américaine Alison "VV" Mosshart et du guitariste britannique Jamie "Hotel" Hince occupe tout l’espace. Deux personnes, une guitare, quelques amplis et basta. Le mur de son, les attaques saccadées de la six-cordes que Hince manipule comme un fusil mitrailleur, une rythmique minimale et puissante et cette charge émotive, cette sexualité latente, ce rapport amour-haine entre les principaux protagonistes captent toute l’attention d’un public souvent pantois. La formule fonctionne à merveille, alors pourquoi la changer?

"C’est toujours nous deux et une boîte à rythmes", précise Jamie Hince au téléphone. Joint en Angleterre quelques jours avant le début de leur tournée nord-américaine qui mènera les Kills un peu partout au Canada et aux États-Unis, le guitariste et principal compositeur des musiques du groupe semble relax et se révèle plutôt affable. Quand on sait qu’il n’y a pas si longtemps, le duo refusait quasi systématiquement de se prêter au jeu des entrevues, trop inquiet de devenir le buzz du moment (disons que depuis que Hince fréquente la top modèle Kate Moss, c’est devenu plus compliqué d’échapper à la hype), c’est plutôt réjouissant d’avoir au bout du fil un musicien qui a envie de discuter. "Nous avions pensé incorporer d’autres gens sur scène, essayer autre chose, élargir les horizons du groupe, poursuit-il. Mais dans le fond, la formule fonctionne très bien ainsi, l’énergie est toujours bien là. Il y a une certaine électricité ou une sorte de vaudou, peu importe comment tu veux nommer ça, entre Alison et moi. On n’est pas de très bons musiciens, alors on essaie de se débrouiller comme on peut en exploitant au maximum nos qualités et compétences. On pourrait jouer n’importe quel genre de musique et je suis certain que nous arriverions à garder cet esprit propre aux Kills."

AMOUR-HAINE

Si les Kills se débrouillent très bien à deux, c’est un peu le fruit du hasard puisque c’est en collaborant d’abord à distance – elle en Floride et lui à Londres – qu’ils ont forgé cette identité de duo. Une fois qu’Alison Mosshart a décidé de quitter le soleil du Sud des États-Unis pour la grisaille anglaise, en 2000, la paire avait en tête de créer un groupe. Mais comme ils avaient travaillé toutes leurs compos pour qu’elles soient jouées à deux, avec les moyens du bord (une vieille boîte à rythmes et une guitare), ils ont décidé de tenter le coup tel quel en concert. C’est là qu’ils ont vraiment réalisé le pouvoir qu’ils avaient entre les mains. La chimie entre Alison et Jamie s’est transformée sur scène en une sensualité à la fois malsaine et attirante. Une énergie palpable et contagieuse.

CHASSER LE NATUREL

Dans la foulée des premiers concerts, le Black Rooster EP paraît sous étiquette Domino en 2002. La paire commence à attirer l’attention. Suit rapidement Keep On Your Mean Side en 2003, un premier album complet enregistré à la va-vite, très punk, très DIY. Lo-fi sur toute la ligne. Le second effort, No Wow, sort en 2005. Déjà on sent une volonté des Kills de s’éloigner du son brut des débuts en coupant un peu sur les guitares mais en demeurant tout de même assez primal. Une tentative qui en déçoit certains, bien qu’elle ait le mérite de démontrer que le binôme ne désire pas trop rester coincé dans un style. "À chaque disque, on se dit qu’on va tenter autre chose, qu’on va intégrer toutes sortes d’instruments différents afin de varier notre son, résume Hince. Mais chaque fois, on revient plus ou moins à ce qu’on sait faire le mieux. Évidemment, on voit vite les limites mais je pense qu’on peut faire ça encore longtemps. Reste que pour Midnight Boom, je tenais vraiment à ne pas faire un disque qui sonne rétro. C’est pourquoi on a décidé d’avoir une approche moins puriste et d’utiliser la technologie d’aujourd’hui, voir jusqu’où on pouvait pousser ça." Ainsi pour le troisième CD, le faux couple a misé sur une approche plus dancefloor en mettant davantage l’accent sur la rythmique. Le son est donc plus costaud, mieux produit avec les basses bien plus présentes que sur les précédents albums et la guitare toujours bien en phase avec la boîte à rythmes. Midnight Boom flirte avec certains éléments de la musique de club, avec ses rythmes hachurés, ses bruits de scratch, ses triturages électro.

Ce désir du groupe d’élargir ses horizons s’est aussi traduit par l’embauche du réalisateur Alex Epton (Armani XXXchange), du collectif hip-hop Spank Rock. Mais de là à dire qu’il est responsable du "nouveau" son du groupe, il y a un pas que Jamie Hince n’est pas prêt à franchir. "Nous avons travaillé sur Midnight Boom pendant un an et demi. On a écrit 40 chansons. Alex n’est entré en jeu qu’à la fin du processus, pendant deux ou trois semaines. J’aime l’idée d’intégrer une autre personne dans le processus créatif car ça permet d’avoir un certain recul. Avec Alex, on a essayé un tas de choses que nous n’avons pas gardées. Je ne pense pas que son apport soit si significatif", se défend le musicien. Il semble d’ailleurs, au dire du principal intéressé, que cette rencontre ne fût pas des plus mémorables. "Ça n’a pas été facile. Disons qu’il y a eu quelques tensions car nous n’étions pas du tout prêts à ce qu’il modifie toute la structure en incorporant un tas de boucles numériques à nos chansons ou en les rendant plus rock. Il a mis sa patte ici et là mais ça n’a pas changé grand-chose au travail initial", avoue Hince en soulignant qu’il a déjà joué au réalisateur pour un autre groupe. Bien qu’il ait apprécié l’expérience, ce rôle ne semble guère lui convenir, en dehors de ce qu’il fait pour les Kills, bien entendu. "J’ai produit le premier album du Archie Bronson Outfit. Ça ne m’a pas déplu mais j’ai du mal à m’immiscer dans le travail des autres, à leur dire ce qui est bon ou pas. Avec les Kills, nous avons toujours été pas mal certains de ce que nous voulions, donc ça ne sert à rien d’incorporer un réalisateur si c’est pour lui dire quoi faire."

COMPTINES PUNK

Les albums des Kills sont tous des polaroïds d’un moment donné, une image figée dans le temps qui résume un peu ce que les deux musiciens ont vécu durant une certaine période. Des événements, des musiques, des films, tout peut servir d’inspiration au duo. Pour Midnight Boom, ce sont curieusement les chansons d’enfants du documentaire Pizza Pizza Daddy-O de 1960 qui ont capté son attention. "Plusieurs de nos chansons sont composées sur une vieille guitare acoustique à 5 $ et souvent il m’arrive de me demander comment nous allons pouvoir transposer paroles et musiques sur disque. En voyant ce documentaire, j’ai flashé parce que je trouvais qu’il y avait une sorte de lien, de similitude avec ce qu’on fait. Ces comptines d’enfants où un refrain est répété plusieurs fois sur quelques notes, ces tapements de mains… tout ça correspond à l’univers des Kills. On a donc essayé, pour certains morceaux, de créer des sortes de versions modernes de chansons de cour d’école", précise celui qui se fait aussi appeler "Hotel" sur disque et sur scène, alors que sa comparse a tout simplement choisi "VV". D’un groupe de rock garage décadent, on se serait plutôt attendu à un truc cliché comme Snakebite, Sexdoll, Black Cobra ou quelque chose du genre. "Exactement, rigole Jamie "Hotel" Hince. On a choisi ces noms pour déconner, en se disant: "Trouvons les surnoms les plus ridicules", et c’est resté. Mais jamais je n’aurais pensé que j’aurais un jour à expliquer ça à un journaliste!"

Le 4 mai
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