Alexandre Désilets : Entre ciel et terre
Avec Escalader l’ivresse, Alexandre Désilets dévoile son goût du risque et des hauteurs avec une électro-pop vaporeuse et sensuelle.
Rares sont les artistes, auteurs-compositeurs et interprètes, qui ont pour seul instrument la voix. Alexandre Désilets perfectionne l’art vocal depuis qu’il est en âge de marcher. Très tôt dans l’adolescence, il constate que ce ne sont ni les paroles ni les voix qui charment son oreille, mais bien les mélodies: "J’étais persuadé que j’allais devenir guitariste. J’étais capable de fredonner les solos de guitare par coeur, j’apprenais les lignes de basse, les arrangements de drum et pourtant, je n’en jouais pas", relate le chanteur devant une tasse de thé fumante.
L’Aylmerois d’origine, qui avait alors amorcé des études en agronomie à Québec, avait beau essayer différents instruments, aucun ne lui offrait l’exaltation voulue. "Ça n’allait jamais assez vite pour moi!" confirme-t-il. Le chant s’avérait ainsi le véhicule prescrit à son épanouissement.
Des études en musique électro-acoustique et un premier projet anglophone avec Funami – un duo avec le Luso-Canadien Tiago Conceição – lui permettent d’explorer le traitement électronique de sa voix, que l’on pourrait situer à mi-chemin entre celles d’un Thom Yorke (Radiohead) et d’un Rufus Wainwright. Son projet d’interpréter tous les instruments avec ses cordes vocales se réalise alors et ne lui procure au final que très peu de satisfaction. "Je me suis alors mis à triper sur l’interprétation, sur la présence qui se trouve dans une écriture authentique… Je ne suis pas du genre à triper sur un guitariste comme Steve Vai. Ça me gosse à la longue, il fait trop l’affaire! Je vais aimer davantage un guitariste qui est moins bon techniquement, mais qui joue avec du coeur, comme Neil Young. Il est "butcheux" dans sa façon de jouer et pourtant il dégage…" illustre-t-il.
De retour au Québec après avoir remporté un succès critique et populaire au Portugal avec Funami, le chanteur participe aux principaux concours et récolte tous les honneurs à Ma première Place des Arts, à Petite-Vallée et à Granby. Revenir à sa langue maternelle avait ainsi contribué à ouvrir les valves: "C’était le jour et la nuit… Comme si avant, je dormais et que je venais de m’éveiller."
Des chansons primées plein le baluchon, Alexandre est fin prêt pour un premier album solo et c’est sur la toute nouvelle étiquette Maisonnette de Denis Wolff et sous la gouverne du réalisateur-arrangeur Jean Massicotte (Pierre Lapointe, Arthur H, Jean Leloup) qu’il se fait valoir. Des musiciens chevronnés oeuvrant au sein des Pawa Up First, Patrick Watson et Plaster complètent le tableau. "J’ai dû présenter en peu de temps qui j’étais… C’est dur de le faire en mots. Je leur apportais des images représentant des paysages en noir et blanc, contrastées."
LE YIN ET LE YANG
En raison de ses études qui ont touché les sciences et les mathématiques, Alexandre Désilets définit son approche au texte de cartésienne. "J’aime une écriture qui n’est pas gênante. Quand il y a trop de quotidien ou de mots surutilisés qui deviennent clichés, ça me gêne. Avec mon type de voix qui est plus yin que yang, plutôt délicate, je peux facilement tomber dans le quétaine. Je devais doser. J’aime une écriture contemporaine qui a du cran, qui utilise des mots modernes, peut-être même jamais utilisés auparavant", soutient celui qui compose de fort jolis textes poétiques aux touches impressionnistes.
La chanson-titre Escalader l’ivresse en est un bel exemple avec son texte obscur, appuyé par des arrangements tournoyants. "Ça traite de mort, mais comme d’une jeune demoiselle avec laquelle tu peux danser. Cette mort peut aussi bien être une dépendance à la consommation, à une autre personne, à l’adrénaline, au jeu… C’est la mort à petit feu", expose-t-il.
Une spiritualité certaine émane aussi de l’album aux teintes électro-pop, dans les thèmes du ciel et de la terre, de la mort et de la renaissance. Celui qui pratiquait autrefois l’escalade dit rechercher cette fièvre des hauteurs sur scène: "J’ai la chance de pouvoir changer ma voix et de savoir m’en servir. Il est là le risque et l’engagement, parce que je ne l’interprète jamais de la même façon, j’ajoute des fioritures."
Questionné sur une sensualité présente sur son album qui a un papillon noir et blanc comme emblème, Alexandre dévoile: "Je suis quelqu’un de senti, de corporel. J’ai cessé de vouloir trop changer ma voix pour chanter comme un autre. J’essaie de revenir le plus possible à ma voix et ça adonne qu’elle est haut perchée, délicate. J’aime m’en servir et je m’en fous si ça sonne comme une fille ou un gars, comme un Blanc ou un Noir, comme une voix ou un instrument. Je me détache de ça et ça donne des résultats tripants. Elle vient de là, la sensualité, je crois", conclut l’énigmatique M. Désilets.
Escalader l’ivresse
Alexandre Désilets
(Maisonnette)
À écouter si vous aimez / Patrick Watson, Karkwa, Radiohead