Bran Van 3000 : La vie en rosé
Après un mutisme scénique de 10 ans, Bran Van 3000 entre à Montréal par la grande porte, celle des Grands Événements extérieurs du FIJM. Rencontre avec le gamin James Di Salvio.
"I was going with the flow."
L’expression anglophone sert de formule magique à James Di Salvio. À 19 ans, l’énigmatique personnage du paysage musical québécois signait le populaire remix dance du succès 1990 à la demande de Jean Leloup lui-même. Sept ans plus tard, il se lançait dans l’aventure Bran Van 3000, groupe promis à une carrière internationale en règle avant de s’écraser tel un avion dans une tour à bureaux en 2001.
Disparu de la planète musique pendant six ans, "pendant presque toutes les années Bush", The Bran Man refaisait surface l’an dernier. Exilé à Los Angeles, il annonçait le retour de Bran Van au Québec, sans pour autant assister au lancement du nouveau disque, Rosé, au très chic hôtel Le St-James en novembre. L’enfant prodigue revenait finalement en terre natale en mars dernier, des retrouvailles officialisées par un mystérieux passage sur le plateau de Tout le monde en parle où, quatre jours après son arrivée à Montréal, le compositeur était toujours dans la brume, l’esprit encore ancré dans les festivités entourant son retour. À nouveau sur terre, ou presque, l’heure est venue de reconquérir le Québec.
"En 1996, on m’a donné un peu d’argent pour que je fasse un disque. On s’attendait à ce que je produise un truc très dance à cause du remix de 1990, mais non, je suis arrivé avec Glee, un album à textes guidé par une formule musicale éclatée. Je n’avais que suivi le flow, écouté mon instinct. En anglais, flow désigne le courant, la vague. En français, le mot fait référence à un gamin, je crois que ça me désigne bien aussi. C’est d’ailleurs la première phrase de Rosé: We’re moving into flow motion."
L.A. CONFIDENTIAL
Porté par le succès international de Glee et sa chanson Drinking in L.A., Bran Van signe en 2000 un contrat avec l’étiquette de disques américaine Grand Royal, propriété des Beastie Boys. Aussi lucrative que significative pour James, l’entente lui permet d’assurer la production onéreuse de Discosis, effort auquel participent notamment Curtis Mayfield et Youssou N’Dour. À la sortie du compact en 2001, tous voient le combo montréalais au firmament, jusqu’à ce que Mike D des Beastie Boys abatte le fantasme rock de James.
"Il m’a téléphoné un jour pour m’annoncer la fermeture de Grand Royal. C’est sûr que j’étais triste, on avait des projets. Mais ç’a été mon excuse pour revenir à ma vie de solitaire. Avant la fondation du groupe, je pouvais produire une pièce pour une chanteuse, lancer un remix dance, faire un film, partir en fou, profiter de la vie pour expérimenter, voyager ou tomber amoureux. Avec Bran Van est né mon sentiment d’appartenance à un groupe. Ce n’était pas prévu, je me laissais porter. En apprenant la faillite du label, nous avons décidé de faire une pause. Avec la production de Glee, les tournées et l’enregistrement de Discosis, nous venions de boucler une période intense de cinq ans. Mais nous sommes tellement paresseux que nous avons pris un break de six ans. La musique, c’est un sport extrême. Quand ça décolle, ça part en malade. Et quand ça arrête, tout tombe au point mort en même temps."
En perdant ainsi le soutien financier de Grand Royal, James et sa troupe devaient dire adieu aux tournées internationales, opérations coûteuses, compte tenu des proportions carnavalesques des concerts de BV3. "Pour reproduire l’album, il aurait fallu être 15 à voyager en autobus. Grand Royal nous en donnait les moyens, en plus de nous structurer un peu."
Redevenu un électron libre, James voyage, plus souvent qu’autrement vers Los Angeles, une ville qui le passionne depuis toujours. À 16 ans, il partait de Montréal sur le pouce pour se rendre en Californie, avec en tête des images du Pacifique, de Timothy Leary, de la Beat Generation, de Chet Baker, de Dr. Dre, d’Earth, Wind & Fire et de Charlie Chaplin.
"En pause de Bran Van, la vie m’a amené à L.A., où ma famille possède un resto. Pour être honnête, je n’ai pas vu le temps passer. J’y suis resté longtemps, trop au goût des douaniers pour qui je suis devenu un immigrant clandestin en passant plus de six mois aux États-Unis sans retourner au Canada. C’est pour ça que Rosé s’est enregistré là-bas (principalement dans un studio de Santa Barbara) et que je n’étais pas à Montréal pour le lancement. Je devais régler certains détails avant de revenir sans problème."
LE BARACKA MIXTAPE
Plus de six ans ont beau séparer les parutions de Discosis et Rosé, la facture sonore de BV3 est restée imperméable au rock garage des White Stripes, au virage électro ambient de Radiohead, au rock orchestral d’Arcade Fire et aux assauts club de Timbaland. N’en déplaise à certains, la formation demeure la même, reprenant les sonorités de ses précédents efforts, non sans une touche reggae plus prononcée. "J’aurais voulu incorporer des références plus récentes, comme des riffs rock à la Wolfmother, mais je revenais toujours au R&B. C’est sûrement lié à ma vie downtown L.A. Ça m’a imprégné de dub et j’ai fini par me dire que Rosé était un disque R&B de l’espace."
Cette idée de ressusciter Bran Van lui est venue en 2006, lorsque la chanteuse Stephane Moraille l’a visité à L.A. Les deux ont alors composé Forever, Mon Réal et Sex, Love & Peace en vue d’une performance à Londres dans le cadre de la Journée internationale de la paix. "C’était le déclic nécessaire. Je me suis décidé à retracer les membres du groupe dispersés un peu partout sur le continent. Nous nous sommes retrouvés à Las Vegas afin de rattraper toutes ces nuits de party que nous avions manquées. Après, c’était l’enregistrement."
James a ainsi renoué avec Liquid, Sara Johnston, Jayne Hill, Gary McKenzie et Nick Hynes, auxquels s’ajoutent quelques nouveaux visages dont la chanteuse Kim Bingham (ex-Me Mom & Morgentaler) et le rappeur Maxamillion. Ensemble, ils ont enregistré ce qui était convenu d’appeler le Baracka Mixtape. "Lorsque je suis allé à Chicago rencontrer Maxamillion, j’ai vu ce type faire un discours à la télé, Barack Obama. Je me suis dit qu’il était fantastique, mais qu’il n’avait aucune chance de se rendre au bout… The Baracka Mixtape est devenu Rosé à la toute fin, question de ne pas attirer l’attention sur le groupe pour les mauvaises raisons."
BLOC PARTY
En concert à travers le Québec, BV3 entend maintenant profiter de la saison estivale pour transformer ses performances en immense bloc party où, galvanisés par une folie contagieuse, tous s’échangent le microphone à tour de rôle. James plonge dans ses souvenirs d’enfance et s’imagine déjà un méga-soundsystem jamaïcain. "Je devais avoir 14 ans lorsque mon père m’a emmené en Jamaïque. Nous sommes passés par une petite ruelle sombre pour arriver sur un grand terrain où des gars comme les Mighty Diamonds et Gregory Isaacs se passaient le micro. L’esprit de la soirée m’avait jeté sur le cul. Les Beastie Boys m’ont aussi inculqué cet esprit festif. Ils font partie de mon ADN de b-boy, tout comme Jean Leloup, le premier à m’avoir donné un micro pour chanter sur Johnny Go."
Les spectacles permettront aussi à Di Salvio de retrouver EP Bergen, collaborateur de la première heure et absent sur Rosé. "Tout au long de l’enregistrement, EP était avec moi en pensée. Il écoutait les pièces et me conseillait sans participer directement. Je suis heureux de le compter parmi les artisans du concert. En fait, je ne sais plus vraiment combien on sera sur scène. Certains invités devaient arriver au Québec la semaine dernière, mais ils sont restés coincés aux douanes… Je les ai remplacés par des gens que j’ai croisés dans la rue. Ça ne m’énerve pas vraiment. I’ll go with the flow."