Woody Allen : Woody dans tous ses accords
Pour la première fois de sa vie, Woody Allen met le nez à Montréal. Et ce n’est pas le cinéma qui l’y mène, mais plutôt sa clarinette et une passion avouée pour le jazz de La Nouvelle-Orléans.
Ceux qui ont vu le documentaire Wild Man Blues le savent: comme violon d’Ingres, Woody Allen joue de la clarinette, "par pur plaisir, en dilettante, de la même façon que d’autres jouent au tennis la fin de semaine, peignent des toiles le dimanche, ou comme Paul Newman s’intéresse à la course automobile. C’est juste un petit hobby auquel il se trouve que des gens assistent, et ça me convient ainsi", s’en défend-il presque.
Tous les lundis, depuis de nombreuses années, le cinéaste âgé de 72 ans monte sur la scène du Carlyle Hotel accompagné des mêmes complices. On raconte même qu’un certain soir d’Academy Awards où il devait être primé, le réalisateur d’Annie Hall préféra jouer au Carlyle, situé dans l’Upper East Side de son New York bien-aimé, que de se rendre à la prestigieuse cérémonie. Qu’un petit hobby… Vraiment? Chaque soir, monsieur Allen descend au living-room pour s’exercer, "puisque même pour soutenir un niveau de jeu aussi médiocre que le mien, il faut s’exercer tous les jours".
TOUT LE MONDE DIT I LOVE YOU
Bien sûr, Woody Allen s’est créé un personnage pour l’occasion, celui d’un musicien humble, un brin maladroit, qui s’est rabattu par défaut sur la clarinette dont le rôle au sein d’un band de jazz de La Nouvelle-Orléans n’en est pas un de premier plan. "Au départ, comme j’étais un grand admirateur de Sidney Bechet, c’est le saxophone soprano qui m’intéressait. Mais il faut être un musicien impeccable pour en jouer dans un groupe comme le mien, ce qui n’est pas mon cas… J’ai senti que ce serait plus facile de dissimuler mes défauts et faiblesses si je choisissais la clarinette."
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’attachant personnage n’a aucune prétention. Pince-sans-rire, il en remet: "Si je devais gagner ma vie avec la musique, j’aurais cessé il y a longtemps! Il y a des choses que je sais bien faire: j’ai toujours été drôle, toujours très athlétique, ça me vient tout naturellement. Mais bon musicien, jamais. Sauf que j’aime ça! Alors je suis enthousiaste, je fais de mon mieux. Et comme les gens ont aimé mes films, ils sont très gentils avec moi et me tolèrent comme musicien."
Dans Wild Man Blues, documentaire paru en 1997, on suit la trace de monsieur Allen, escorté par Soon-Yi, lors d’une petite tournée européenne avec son groupe. Interrogé sur son rapport à la musique à un certain moment, il répond qu’il s’agit pour lui d’une de ses rares activités qui ne soient pas cérébrales, allant même jusqu’à la comparer à "prendre un bain de miel". "J’en joue avec bonheur, pour mon propre amusement, en compagnie de mes amis. Je ne ressens pas la nécessité de me produire devant un auditoire, mais pour les autres musiciens, c’est important. J’ai été comédien de cabaret durant plusieurs années, alors ça ne me déstabilise pas; j’ai accepté de me produire avec eux. On a commencé à jouer dans des cabarets de New York et ensuite ils ont proposé qu’on parte en tournée. Je ne croyais pas que des gens se déplaceraient pour nous entendre, mais on a récolté un succès inexplicable. Une ou deux fois par année, on fait une petite tournée dans différents pays. Et puis ma femme aime bien voyager…"
Le New Orleans Jazz Band n’a pas lancé des tonnes de gravés. Il y a bien eu The Bunk Project en 1993 et la bande originale de Wild Man Blues, mais c’est à peu près tout. Encore une fois couronné de succès malgré lui, Woody Allen a dit oui à ses amis-musiciens "puisqu’ils avaient leurs raisons de vouloir enregistrer. Mais honnêtement, je n’y tenais pas". C’est d’ailleurs avec la plupart des musiciens que l’on peut voir dans le documentaire que Woody Allen se produira à la Salle Wilfrid-Pelletier sous la direction d’Eddy Davis.
DIXIE WOODY
Cette musique qui plaît tant à Woody Allen s’est développée principalement au cours des années 20, au coeur de la ville dite "sans souci" – c’était avant le déluge -, dans un contexte d’immigration où une grande diversité ethnique permettait un échange entre les cultures en présence.
Avec comme chefs de file le saxophoniste soprano Sidney Bechet, le pianiste Jelly Roll Morton, le tromboniste Kid Ory et quelques autres, cette musique joyeuse devant laquelle il est impossible de rester de glace réunit piano et banjo au rythme, trompette ou saxo soprano à la mélodie, clarinette aux ornements. Les cuivres, bon marché à l’époque (une des conséquences heureuses de la guerre de Sécession), sont mis en valeur et il y a toujours place à un peu d’improvisation.
Une question demeure: comment se fait-il qu’un cinéaste aussi moderne que Woody Allen, autant attaché à sa ville qu’à son époque, si l’on en croit ses films, soit épris de cette forme de jazz qui n’existe même plus dans la ville dont elle est issue? Après tout, n’est-il pas né en 1935, l’année où Elvis Presley, Little Richard et Jerry Lee Lewis ont aussi vu le jour? "Le rock’n’roll ne m’a jamais intéressé. En fait, j’ai grandi en écoutant de l’excellente musique. Du matin au soir, en m’habillant, en déjeunant, nous écoutions ce qui passait à la radio: Cole Porter, George Gershwin, Irving Berlin… La maison s’emplissait de ces airs magnifiques. Vers le début des années 50, j’ai commencé à me détourner de la musique pop parce que ses développements et les nouvelles directions qu’elle prenait ne m’intéressaient pas. J’ai senti que je préférais réécouter Cole Porter ou Jerome Kern, et c’est encore le cas aujourd’hui, pour être franc. Mais adolescent, lorsque j’ai entendu du jazz de La Nouvelle-Orléans, j’ai trouvé ça très beau…"
C’est donc porté par ces airs cuivrés, irrésistibles, que Woody Allen débarquera à Montréal pour repartir aussitôt: "On va devoir rentrer rapidement car je travaille sur un film." Un film sur quoi? "Eh bien, c’est une comédie romantique qui se déroule à New York…" Comme quoi on peut sortir Woody Allen de sa ville chérie, mais pas pour trop longtemps.
Les 29 et 30 juin
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts
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À écouter si vous aimez /
Kid Ory, Sidney Bechet, The Original Dixieland Jazz Band
TRAMES SONORES OU FILMS MUSICAUX?
Woody Allen a toujours donné une bonne place à la musique dans ses films. Dans Radio Days, par exemple, la musique tient carrément le rôle principal. Comme dans les souvenirs d’enfance de monsieur Allen, il y a ces grands airs des années 40 qui se répandent dans la maison, entrecoupés des nouvelles de guerre. Tous les rêves des personnages, petites gens ou vedettes des ondes, convergent vers cette radio qui trône en reine au centre de la pièce. Dans Everyone Says I Love You, comédie musicale mettant en scène Julia Roberts et Drew Barrymore notamment, la musique détermine la forme – chantée – du film, alors que dans Shadows and Fog, dans lequel Madonna s’est vu confier un caméo de fildefériste, les musiques de Kurt Weill sont là pour projeter une ambiance, intensifier certaines scènes et suggérer une époque. Parfois les personnages sont liés à l’industrie de la musique, comme dans Sweet and Lowdown, où Sean Penn joue le rôle d’un musicien narcissique obsédé par Django Reinhardt, ou encore dans Broadway Danny Rose: Woody Allen lui-même incarne un manager qui gère la carrière d’un soi-disant crooner italien entretenant des liens avec la mafia… "La musique a toujours fait partie intégrante de mes films. Un des moments que je préfère dans le processus de réalisation d’un film, c’est à la toute fin, quand on ajoute la trame. C’est tellement agréable!"