Wyclef Jean : Roi carnaval
Ex-Fugees, musicien, réalisateur, activiste, ambassadeur et quoi encore? Même s’il a coupé ses dreads depuis longtemps, Wyclef Jean voit son CV, comme sa tête, gonfler sans arrêt.
Quinze minutes au téléphone pour saisir Wyclef Jean, un homme autour duquel le monde tourne, un véritable phénomène de magnétisme, c’est bien peu. L’artiste aux multiples talents et réseaux se donne sans compter pour aider la république bicentenaire qui l’a vu naître, fait tourner son deuxième carnaval [Carnival, Vol. 2: Memoirs of an Immigrant] sur toutes les scènes et amorce une nouvelle ère avec son étiquette Sak Pasé.
LE POIDS DU MONDE
Récemment nommé ambassadeur de bonne volonté pour Haïti, le fils adoptif d’un pasteur de la banlieue de Port-au-Prince fait la navette entre la Perle des Antilles et les États-Unis depuis quelques années, cumulant les engagements. Un train de vie qu’il s’impose par humanisme: "C’est très difficile, je reviens d’Haïti et je vois la liste des artistes avec qui travailler: Shakira, Jim Jones, Little Wayne, etc. Si j’étais resté à la maison, j’aurais fait tout ça plus rapidement, mais si je ne fais rien pour mes compatriotes, ils peuvent bien avoir perdu leur unique chance! Parce que je ne sais pas quand un autre Wyclef Jean viendra, ça peut être dans deux ans, mais ça peut aussi être dans 200 ans, tu vois? Je sens le poids du monde sur mes épaules, c’est ce que je sens quand je vais là-bas", explique-t-il, exténué.
Ce désir de rendre le monde meilleur, de donner aux moins nantis se traduit même sur les planches: "Nous apportons la technologie sur scène. Quand j’arrive, vous pénétrez dans la session studio de Wyclef. La vibe du show résidera dans la démonstration des technologies qui nous ont permis de créer mes albums. Ainsi, les jeunes pourront nous regarder et se dire: "Wow, je peux faire la même chose!"", clame le musicien, secondé par son "cousin Jess" sur scène. "Mon spectacle a l’énergie d’Haïti, je ne fais jamais deux fois la même chose et cette fois, je pense qu’on a vraiment quelque chose d’intéressant", ajoutera-t-il à propos de son passage au Bluesfest d’Ottawa.
Qu’on aime le personnage ou pas, il faut bien admettre que Jean possède le don de s’adresser à tous: "Une bonne chose avec moi, c’est que je me réinvente toujours. Il y a les nouveaux fans de Wyclef, les anciens fans des Fugees et de Carnival, je veux donc bien mélanger l’ancienne et la nouvelle école." Son naturel légendaire l’a même conduit dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince pour s’entretenir avec des jeunes de la rue dans le cadre du documentaire Ghosts of Cité Soleil: "Je suis né à Croix-des-Bouquets, puis j’ai déménagé à Brooklyn où j’ai eu quelques problèmes, et ma mère a dû déménager au New Jersey. Je parle à tout le monde parce que j’aurais pu devenir n’importe quoi. J’ai bien tourné, et c’est peut-être pour aider ceux qui n’ont pas eu ma chance. Ma musique est commerciale, mais je ne le suis pas. J’affronte la violence de front, c’est le seul moyen de voir des changements réels", plaide-t-il.
Sak Pasé ("Comment ça va" en créole haïtien), l’étiquette fondée par Clef, est d’ailleurs à la recherche de talents, et le Québec est dans la mire: "Nous commençons à chercher de nouveaux talents, on voit bien que Montréal et le Québec sont de vraies mines d’or. Le hip-hop vernaculaire est en train de prendre le devant de la scène en Haïti et je pense que ça va s’étendre dans la diaspora. Nous ne recherchons pas seulement les artistes créoles, mais il doit y avoir un élément de métissage: créole, français, espagnol… Wyclef Jean aurait pu être un artiste sous contrat avec Sak Pasé", explique avec passion le dénicheur de talents. Son attachement pour la métropole l’a conduit dans une multitude de salles, du Centre Bell au Complexe Cristina: "Montréal occupe une place toute spéciale dans mon coeur. Les Haïtiens ne peuvent immigrer que dans quelques endroits, j’ai grandi à Brooklyn, mais ça aurait aussi pu être Montréal."
Aussi à l’aise avec les chimères qu’avec le président haïtien ou le futur président américain (Obama lui a déjà confié qu’il ne cessait d’écouter The Carnival), l’ex-Fugees semble investi d’une mission divine qui transcende chacune de ses sphères d’activité. C’est indéniable, Wyclef a la grosse tête. "Les gens m’aiment, c’est la meilleure façon de le dire. Ça déborde!" allègue-t-il au cours de l’entrevue. Pourtant, il passe dans tous, mais vraiment tous les cadres de portes, des taudis de Cité Soleil à la Maison-Blanche. Qui dit mieux?
12 juillet à 21h30
Sur la scène Bank of America – Bluesfest d’Ottawa
À écouter si vous aimez /
The Fugees, Bob Marley, Akon