Victoria Abril : Laissez-la chanter
Musique

Victoria Abril : Laissez-la chanter

Entre cinéma, théâtre, danse et chanson, Victoria Abril a décidé de ne pas choisir. Pour le plus grand bonheur de ses nombreux fans, d’ailleurs, qui ne manqueront pour rien au monde son passage aux FrancoFolies.

"J’ai deux amours: mon pays et Paris", chantait Josephine Baker. Arrivée dans la Ville lumière un demi-siècle plus tard, l’Andalouse Victoria Abril pourrait reprendre à son compte ce refrain, tant le parallèle entre les deux exubérantes stars est frappant. Toutes deux n’ont-elles pas fait de la capitale française le haut lieu de leurs passions amoureuses et de leurs passions pour la comédie, la danse et le chant, pratiques artistiques qu’Abril conçoit comme complémentaires? "Complètement, opine-t-elle, dans ce français mâtiné d’un charmant accent hispanique. La musique, c’est un rêve que je me promettais de concrétiser depuis longtemps. L’année dernière, j’ai tourné quatre films, puis j’ai enregistré Olala! Avec tout ça, j’ai même raté mes vacances!"

À l’autre bout du fil, la comédienne fétiche de Pedro Almodóvar rigole de bon coeur et je devine que cette boutade ne traduit pas le moindre regret de sa part. "La musique, le chant, c’est du bonheur par intraveineuse! La musique me charge, le cinéma me décharge. Quand je tourne, je perds du poids, je me vide; par contre, après un concert, je me sens pleine d’énergie!" Abril aurait beau pester contre le septième art, jamais elle ne pourrait s’en passer. Qui plus est, la chanteuse reconnaît avoir bénéficié de l’expérience de la comédienne, qu’on avait découverte, adolescente, dans La Rose et la Flèche (aux côtés de Sean Connery et Audrey Hepburn, en Robin des Bois et Marianne vieillissants), avant ses triomphes dans Attache-moi!, Talons aiguilles ou Gazon maudit. "Quand on est jeune, il y a toujours quelqu’un pour vous dire: "fais pas ça, les actrices qui chantent, il y en a trop." Moi, je ne voulais quand même pas crever avant d’avoir essayé. La musique, comme le cinéma, c’est affaire d’interprétation. La différence, c’est la durée: quatre, cinq minutes pour une chanson, au lieu d’une heure et demie pour un film. Mais chanter, c’est raconter un film avec ta voix, avec ton corps, avec tes sentiments, avec tes carences, tes défauts et tes excès."

Des défauts, Victoria Abril? Interrogée à ce sujet, la vamp se défile avec grâce et humour. Peut-être n’en a-t-elle pas; cela expliquerait son aisance à se glisser dans la peau d’un ange (dans Sans nouvelles de Dieu). "C’est drôle que vous parliez de ce film, qui a été l’élément déclencheur de mon premier album. J’avais dit au réalisateur: je veux bien tenir ce rôle, mais seulement si tu me donnes carte blanche quant au choix des chansons que j’y interpréterais, à la production et la chorégraphie des séquences musicales. L’action se passait dans les années 50, l’époque des débuts de la bossa-nova. Une fois le film fini, j’ai décidé de plonger, de faire l’album."

L’AMOUR, TOUJOURS L’AMOUR

Certifié trois fois disque d’or, Putcheros do Brasil a confirmé à Victoria Abril son choix d’écouter son instinct et son instinct seul. En écho à sa déclaration sur le cinéma, amusante et impudique ("Il vaut mieux tourner à poil dans un chef-d’oeuvre qu’habillée dans un navet"), elle lance à propos du disque: "Il vaut mieux te produire toi-même que de laisser les labels et les producteurs faire de toi un pantin n’obéissant qu’à des exigences commerciales." Après ces charmantes relectures des airs de bossa-nova, Victoria Abril avait songé à un album de chansons inspirées de ces carnets de voyage où elle consigne ses joies et ses peines. "J’y travaille depuis des années, ça doit s’intituler Interlocal et il aurait dû suivre Putcheros do Brasil si Olala! ne s’était pas imposé. Lors de la tournée qui a suivi la sortie de mon album en portugais, dans les rappels, je commençais à tester les chansons que j’allais réunir sur le deuxième disque. Je commençais à tester Brassens, Piaf ou Nougaro dans ces arrangements flamencos. Et je me rendais compte que le spectacle redémarrait. D’où l’idée de ce disque, à partir de mes meilleurs souvenirs de la chanson française."

Olala! fusionne deux des amours d’Abril: le flamenco et la chanson française. "Le flamenco a bercé mon enfance. Et pourtant, gamine, je n’aimais pas trop; je me demandais: Mais qu’est-ce que c’est que ces gens qui n’arrêtent pas de se plaindre? Je me rappelle cependant m’être collé l’oreille au tourne-disque pour écouter la percussion qu’une danseuse de flamenco faisait avec ses pieds. Et ça, ça m’impressionnait énormément. Du coup, j’ai voulu être danseuse." Au Conservatoire toutefois, la jeune Victoria opte d’abord pour le ballet classique. "Par esprit de contradiction, avoue-t-elle. Mais dans la vingtaine, dès que je suis arrivée à Paris, il a commencé à me manquer, le flamenco."

Sa venue en France, Abril la doit à son amour pour le directeur photo Gérard de Battista, père de ses deux fils. À l’époque, elle s’initiait encore aux difficultés de la langue de Molière. "Je me débrouillais un petit peu en français, mais je ne savais ni le lire ni l’écrire très bien. C’est en écoutant ces chansons en boucle, en suivant dans les livrets, que j’ai appris par exemple que "EAU" se prononce "O". J’avais de bons profs, en l’occurrence Ferré, Gainsbourg, Barbara et les autres. Prenez Les Nuits d’une demoiselle (de Colette Renard), une chanson bien particulière qui n’a pas de structure normale avec alternance entre couplets et refrain. C’est 24 phrases, avec 24 verbes et 24 noms pour parler de la chose, je veux dire la nôtre, la féminine. C’est incroyable, 24 verbes qu’on n’utilise pas forcément dans une journée!"

Avec la parution d’Olala!, ce joyau à l’âme française et au coeur andalou, réalisé avec le concours de quatre prestigieuses familles gitanes (Los Moraos, Los Habichuelas, Los Parrilla et Los Porrinas), impossible de ne pas demander à la diva si les distinctions basées sur la nationalité ont encore un sens pour elle dans la nouvelle Europe: "Elles n’ont plus de sens dans la nouvelle Europe, non. À plus forte raison pour moi, une Andalouse qui a immigré à Madrid à huit ans et qui vit à Paris depuis un quart de siècle, qui travaille partout en Europe. Avec mon métier, il m’arrive de me réveiller à Paris, de prendre le petit-déjeuner à Madrid, de déjeuner à Barcelone et de me recoucher à Paris. L’Europe, c’est tout petit. Moi, je suis Maastricht depuis le début.

– C’est votre côté gitan, alors?

– Voilà, tout à fait."

Le 29 juillet
Au Théâtre Maisonneuve de la PdA

À écouter si vous aimez /
Gerardo Nuñez, Estrella Morente, Niña Pastori

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Quelques jalons incontournables du parcours sans faute de la sulfureuse comédienne…

Attache-moi! de Pedro Almodóvar (1990): Abril y incarne Marina, une star porno qui se voit séquestrée chez elle par un admirateur troublé qui espère la séduire.

Talons aiguilles de Pedro Almodóvar, encore! (1992): On retrouve Abril sous les traits de Rebecca, la fille d’une chanteuse des années 60 qui a épousé un ex-amant de sa mère revenue après des années d’absence.

Gazon maudit de Josiane Balasko (1996): Mariée à un coureur de jupons notoire, Loli (Abril) s’éprend de Marie-Jo (Balasko), qui fait irruption dans sa vie. On aura rarement vu mère de famille aussi séduisante avec un tablier!

Sans nouvelles de Dieu d’Augustín Díaz (2003): Pour sauver l’âme du boxeur Many Chaves, les puissances de l’au-delà envoient sur Terre l’ange Lola Nevado (Abril).

Le Septième Jour de Carlos Saura (2004): Dans une Andalousie qu’elle connaît bien, Abril incarne l’une des protagonistes d’une guerre des clans qui se terminera dans un affreux bain de sang.