Carla Bruni : Suite présidentielle
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Carla Bruni : Suite présidentielle

Mannequin devenue chanteuse et maintenant première dame de France, Carla Bruni lançait son troisième album, Comme si de rien n’était, le 15 juillet. Entrevue exclusive avec l’artiste derrière la femme du président.

Voir: Tout d’abord, votre nouveau disque s’intitule Comme si de rien n’était; j’aimerais savoir ce qui vous a inspiré ce titre.

Carla Bruni: "Ce titre correspond à celui d’une photographie de mon frère (Virginio Bruni Tedeschi) qui figure à l’intérieur de la pochette. Je lui ai un peu volé ce titre pour exprimer la manière dont on a voulu réaliser ce disque, c’est-à-dire comme si de rien n’était. C’est assez évocateur, mais ce n’est pas seulement en relation avec mon mariage et la position de mon mari, c’est aussi parce que j’ai toujours produit mes disques dans une espèce de refuge et de spontanéité, comme si de rien n’était."

Vous le dites à la blague, et c’est assez paradoxal, puisque justement, vous ne pouvez plus rien faire comme si de rien n’était…

"C’est-à-dire qu’il y a des choses qui échappent tout de même à la situation extérieure, et le disque en fait partie. Mais non, non, je peux vivre comme si de rien n’était. On vit tous comme si de rien n’était, au fond."

Vous avez parlé de votre frère, il est très présent sur cet album. Vous lui avez aussi écrit une chanson, Salut marin. Qu’est-ce qui vous inspire dans l’univers des marins?

"Beaucoup de choses. D’abord, c’est un univers très difficile et romanesque. Je pense notamment aux livres d’Herman Melville et à toutes ces chansons écrites sur les marins. Léo Ferré disait: "ils sont marrants les marins, même sur terre ils sont dans l’eau". C’est ça qui m’inspire. Au fond, les marins sont des êtres à part puisque leur univers favori, plutôt que la terre, serait la mer. Ils sont courageux, souvent solitaires, et mon frère était comme ça. C’est pour ça qu’il était marin. C’était la passion de sa vie, la mer, les bateaux."

Il paraît que vous écrivez sans arrêt, c’est vrai?

"J’écris dès que quelque chose me vient en tête. Des fois, c’est sans arrêt, mais il peut y avoir de longues périodes où rien ne me vient."

Qu’est-ce qu’il vous faut comme étincelle pour commencer un texte?

"La vie. Une émotion. Un sentiment lié à ma vie ou à celle des autres. C’est comme si j’écrivais toujours à propos de ma vie, mais mes chansons peuvent s’inspirer de quelqu’un dans la rue ou de vous. Finalement, c’est l’observation ou le ressenti qui me mènent à l’écriture."

Puisqu’on est dans l’univers des mots, la littérature vous inspire, vous reprenez d’ailleurs un texte de Michel Houellebecq sur votre album (La Possibilité d’une île).

"C’est un poème, en fait. La littérature me nourrit plus qu’elle m’inspire. La vie courante m’inspire. Mais c’est vrai que la littérature m’influence. J’ai d’ailleurs enregistré tout un album de poèmes (No Promises). J’aime l’idée de prendre un poème et de le mettre en musique comme l’ont fait les Léo Ferré, Jean Ferrat ou Serge Gainsbourg. Ça nous amène dans un autre univers, celui du poète."

Vous êtes visiblement fascinée par la langue française et ses possibilités. Pourtant, on a souvent tendance à l’oublier, ce n’est pas votre langue maternelle.

"C’est vrai, ce n’est pas ma langue maternelle, mais plutôt ma langue grand-maternelle, puisque ma grand-mère parlait français. Je lui étais très attachée, donc cette langue est entrée dans mon inconscient très tôt. Il m’arrive d’ailleurs très souvent de rêver en français, ce qui prouve chez moi le niveau primitif de cette langue, dans le sens de la racine. J’ai appris le français vers l’âge de 3 ou 4 ans. Ma grand-mère, qui a épousé un Italien, était de fait italienne, mais elle parlait un italien épouvantable. Elle s’adressait donc à nous en français. Je n’ai jamais eu de distance avec cette langue qui est entrée très tôt dans mon coeur. Et c’est la langue dans laquelle j’écris spontanément. J’essaie d’écrire en italien ou en anglais, ça me paraît séduisant, mais ça n’aboutit pas toujours. Le français est mon fil tendu pour l’écriture."

La dernière chanson de votre album est chantée en italien, mais elle n’est pas de vous.

"Non, c’est une chanson de Francesco Guccini que j’aime chanter. Vous savez, les chansons que l’on reprend, qui ne sont pas de soi, sont souvent des pièces qu’on aime chanter à la base. C’est une manière de se les approprier. Évidemment, on essaie de choisir des chansons moins célèbres. Il y a des pièces de Gainsbourg ou de Bob Dylan que j’adore, mais je n’ose pas les reprendre parce qu’elles sont trop connues. C’est un grand bonheur, un grand soulagement que de chanter ces belles pièces que les autres ont écrites."

D’ailleurs, sur l’album, vous avez repris une pièce popularisée par Dylan (You Belong to Me), qui n’a pas été écrite par lui. Qu’est-ce qu’elle signifie pour vous?

"C’est une chanson que j’écoute depuis que je l’ai découverte sur une bande originale de film. J’adore la voix de Dylan et cette chanson qui est bien simple."

L’une de vos compositions est construite autour d’une mélodie de Schumann. Quelle place occupe la musique classique dans votre vie?

"La musique classique a toujours occupé une très grande place dans ma vie puisque mes deux parents étaient musiciens classiques. Mon père était compositeur dodécaphonique et ma mère, pianiste. La musique classique, c’est pratiquement la bande sonore de mon enfance. Mes parents en jouaient tout le temps. J’aime adapter la musique classique en chanson car elle possède une richesse et une simplicité qui correspond aux mélodies des chansons. J’ai toujours aimé ce qu’avait fait Gainsbourg avec la musique classique, notamment pour Jane Birkin et sa fille Charlotte. C’est sur cette base que j’ai adapté la mélodie de Schumann."

Plusieurs des chansons de l’album, comme Ma jeunesse, Salut marin ou Le Temps perdu, parlent d’une certaine nostalgie d’un temps révolu, de l’enfance. Êtes-vous de nature nostalgique?

"Oui, mais dans un sens joyeux. Il me semble que les souvenirs sont une bonne chose. Le présent et le futur sont plus ardus, mais le passé est toujours un peu édulcoré par le temps et la sagesse. Même les erreurs, à la lueur du passé, deviennent des expériences. En ce sens, le passé bonifie beaucoup l’existence."

Permettez-moi d’être un tout petit peu chauvin et de vous parler du Québec. À quoi pensez-vous en général lorsqu’on vous parle du Canada et du Québec?

"Quand je pense au Québec, je pense à un pays où je ne suis pas encore allée. Ça me manque. J’aurais adoré faire une tournée au Québec. J’ai rencontré beaucoup de Québécois lors de mes tournées de promotion et lorsque j’étais mannequin, et ils m’ont toujours rappelé le tempérament italien. On ne peut pas généraliser, mais j’ai l’impression que ce sont des personnes très faciles d’accès. Pour l’instant, le Québec représente donc un regret, parce que je n’ai pas eu l’occasion d’y aller, mais ça ne va pas tarder."

Vous dites regretter de n’avoir jamais joué au Québec. Est-ce qu’on peut rêver de vous voir un jour sur scène chez nous?

"J’adorerais jouer au Québec. Je le ferai dès que je le pourrai. Leonard Cohen est remonté sur scène après 13 ans d’absence, donc je me dis que j’ai de l’espoir."

Vous venez de l’évoquer, votre double statut d’artiste et de première dame rend la tournée impossible. Est-ce que l’artiste en vous est frustré de ne pas pouvoir monter sur scène?

"Non, j’avais décidé de ne pas donner de concerts avant même d’enregistrer le disque. Ce n’est que partie remise pour moi. Je ne suis pas cet animal de scène qui fait 250 concerts par an. Je ne l’étais pas même avant de me marier. J’étais un peu intimidée par la scène. J’ai aussi un petit garçon, et c’est plus difficile de tourner pour une femme qui a des enfants. Pour qu’ils nous accompagnent, il faudrait les sortir de l’école, ce qui serait terrible pour eux. Il faut donc s’en séparer, ce qui est terrible pour nous. Il y a des femmes qui le font, mais la plupart de mes amis musiciens qui font de grandes tournées sont des hommes."

En terminant, il faut absolument souligner que tous les profits engendrés par cet album iront à une oeuvre caritative. Pouvez-vous nous parler de la fondation en question?

"Tous mes droits d’auteur iront à la Fondation de France, une fondation très classique et sérieuse. C’est un peu pourquoi je l’ai choisie, mais aussi parce qu’elle ne s’occupe pas simplement d’une cause, mais de différentes causes selon les priorités réelles. Je voulais donner cet argent aux autres. Il semble que je ne parle que de moi-même et de mon travail, mais en vérité, j’aimerais beaucoup agir pour les autres en tant qu’épouse du président de la République, pas en tant que chanteuse, où j’estime avoir moins de moyens d’y arriver. Cependant, je n’ai pas encore eu le temps de créer quelque chose de mon côté et de vraiment aborder cet aspect de mon existence. Alors la Fondation de France m’assure que cet argent soit distribué de juste manière."

Carla Bruni
Comme si de rien n’était
(Audiogram/Select)

À écouter si vous aimez /
Françoise Hardy, Marianne Faithfull, Nico

Rendez-vous sur la page Artiste de Carla Bruni pour écouter des extraits vidéo de l’entrevue.