Jean Leloup : Dr Jekyll et Mr. Hide
Musique

Jean Leloup : Dr Jekyll et Mr. Hide

Jean Leloup est de retour dans son rôle de grand manitou de la pop et Leclerc consent à son alter ego une résurrection salvatrice. Un coup d’éclat improvisé pour la bête noire indomptable de l’industrie.

Si on veut en savoir plus sur l’individu, et percer cet écran surréaliste derrière lequel se cache l’artiste qui a réinventé le mot iconoclaste au Québec, il faut se montrer disposé et attentif au moindre délire improvisé qui peut émerger de son imaginaire. C’est dans cet état d’esprit que nous nous lançons. Mais tout d’abord, une question s’impose: quel est son nom? "John Dead Wolf ou Jean Leloup… Les gens veulent m’appeler Jean Leloup! J’ai abandonné. J’abandonne toute envie de m’appeler autrement. Franchement, ça ne changera jamais! Les gens, ça ne leur sort pas de la tête et puis c’est normal. J’ai perdu! D’accord, j’ai perdu!"

Nous voilà donc en face d’un Jean Leloup au visage émacié qui s’en tire plutôt bien avec cette question. Avouant qu’il a pris un malin plaisir à brûler sa Fender Jaguar dans un état second, pour enterrer un alter ego qui, à ses yeux, devenait trop encombrant, il banalise du même coup l’élément dramatique entourant ce geste mis en scène sans trop d’artifices et immortalisé sur pellicule de manière débridée. Depuis ce temps, il est devenu Massoud Al-Rachid, afin de publier une nouvelle intitulée Noir destin que le mien, pour ensuite faire paraître sous le nom de Jean Leclerc son dernier disque intitulé Mexico. Jean fait cette fois-ci sortir Leloup de sa tanière l’instant d’un seul spectacle à Québec, une occasion qu’il ne voulait pas rater pour illustrer le 400e à sa façon. "Mon thème, c’est l’arrivée des Indiens chez les Canadiens, indique-t-il avec un ton solennel. Alors, le Canada est envahi par les Indiens. C’est pour ça que j’invite les gens à personnifier l’envahissement du Canada par les Indiens. Que les gens s’amusent! Ils peuvent se déguiser en extraterrestres aussi, je suis quelqu’un de très ouvert. Dans le fond, c’est ce qu’on pourrait déterminer comme thèmes principaux: pow-wow, extraterrestres et Amérindiens!"

Avec le rôle de chef de tribu, dans une escapade musicale qui risque de se rendre sur la planète Mars, Leclerc revisite Leloup sans complexe et dévoile par la même occasion ce que sera sa nouvelle "discipline" pour les années à venir. "Moi, les tournées et les deux shows par semaine, il n’en est plus question. Je vais attendre d’avoir composé tellement de nouvelles affaires, que là, je n’aurai plus le choix de monter un nouveau spectacle. Mais, si les gens veulent un party à Québec pour le 400e, moi, je m’incline. Pour cette fois-ci, je trouve ça cool de faire mes anciennes tounes. Un chanteur, ce n’est pas un grand artiste, c’est un tripeux, c’est comme un juke-box. Le monde, c’est ça qu’il aime. Si tu le fais de temps en temps, c’est correct, tu as l’énergie qu’il faut pour que ce soit un vrai party. Après un show comme ça, moi, j’en ai pour un mois à m’en remettre."

FAIS TON CINÉMA

Que s’est-il passé depuis la sortie de l’album Mexico? Jean Leloup est parti au Vietnam pendant plus de quatre mois pour y tourner un film. Une production qui s’est échelonnée sur un an avec un scénario que nous laissons le soin, pour quelques instants, à l’auteur de narrer. "C’est l’histoire d’un travesti qui se fait crever les yeux par une prostituée dont il est amoureux. Il la recherche, mais finalement c’est pour la tuer", lance-t-il avec cette candeur qui le caractérise. "La prostituée, elle, a une aventure avec le neveu du travesti, chez qui il demeure. Pour le travesti, c’est son espoir. C’est un modèle d’intelligence: il est straight, il étudie… Ce dont il rêve pour son neveu, c’est qu’il se trouve une femme parfaite, alors qu’il se retrouve avec une prostituée qui le vide de son cash. Donc, le travesti doit choisir entre se venger ou laisser son neveu libre de faire sa vie comme il l’entend. Mais le film se transporte ailleurs, dans un style Charlie Chaplin, du genre film muet du début 20e, mais au Vietnam…" Il faut le voir pour le croire.

Avec autant de projets en tête, le cinéaste indépendant avoue sans gêne qu’il s’est ruiné pour le plaisir dans une entreprise dont il entrevoit maintenant de faire paraître le résultat sur Internet, sous forme de capsules. "On se tourne vers Internet, parce que les autres médias sont trop policés. Les gens n’ont plus le droit de rien faire maintenant! Je m’excuse, mais les organismes machins qui te disent que tu n’as pas le droit de faire ça et de dire ceci… Ils vont jusqu’à te soumettre un coscénariste. À la fin, ce n’est même plus toi qui a le crayon. Aujourd’hui, au cinéma, tourner un french, ça coûte un million! Pis leur équipement, c’est le produit national brut du Congo! Et la télé, tu l’écoutes deux jours et tu te suicides… C’est très sérieux! Il n’y a plus de place pour les idées, et tout le monde dit ce qu’il faut dire."

TROP, COMME PAS ASSEZ, POUR ÊTRE MIEUX

Toujours, chez lui, les idées se bousculent. À un point tel qu’il est normal de se demander quelle est la part de cette attitude foisonnante dans la carrière qu’endosse l’artiste de la chanson. Encore faudrait-il qu’il l’envisage comme une carrière, un mot qui semble exclu de son vocabulaire. "C’est très bon de désapprendre pour apprendre de nouvelles choses, indique-t-il. Si on veut vraiment faire quelque chose de bon, il faut oublier ce que l’on sait. On se fait chier quand on n’apprend plus rien. En faisant des films, j’ai composé plein de nouvelles tounes, elles sont complètement différentes de ce que j’ai fait auparavant. Il y a un trip lorsqu’on s’améliore. C’est beaucoup plus facile d’avoir du fun que d’être plate. Ce qui est con, c’est qu’on finit par l’oublier."

"C’est sûr que tu peux devenir une vedette et puis faire des millions. Moi, je ne trouve pas ça nécessaire. C’est correct comme ça. Je vivais bien, j’avais des droits qui rentraient, je ne voyais pas pourquoi je m’arrêterais d’évoluer pour devenir plus riche… On a ben du temps pour s’acheter une grosse maison avant de devenir vieux. J’ai décidé d’investir dans des caméras et de partir une compagnie de films avec mes copains. On fait des disques ensemble et l’atmosphère est le fun parce que ce sont des chums à moi qui font la business. Je ne me sens pas obligé d’expliquer à du monde d’une autre génération que j’ai envie d’avoir du fun en faisant ce que je fais. J’ai connu ça et c’est fini. Dès qu’on traite de l’argent… Moi, ce n’est pas ma priorité. Je sais qu’il en faut pour vivre mais, dès que tu vois des personnes en train de penser à leur future piscine… Moi, la piscine, c’est non. Les plus vieux… Ils sont compliqués parce qu’ils sont insécures."

Le 30 août
Au Colisée Pepsi