Bloc Party : Comme une poignée de nerfs
Avec Intimacy, son troisième et plus récent album qu’il n’a rendu disponible qu’en version numérique sur son site Internet, Bloc Party signe son recueil le plus poignant, mais aussi le plus fougueux.
Qu’elle verse dans le rock têtu aux relents électro ou dans la ballade déchirante qui vrille les tripes, la musique des britanniques Bloc Party est toujours un objet scintillant, mais aussi hardiment effilé. Un scalpel qui dissèque les amours mortes, un couperet qui tombe sur la bigoterie et la violence, une machette qui débroussaille prestement le terrain d’une époque déroutante de peurs et d’incertitudes.
Autrement, comme le soumet le batteur Matt Tong, "nous sommes sans doute un symptôme. Un groupe de l’ère de l’information où tout va trop vite. Il n’y a pas de doute que nous ne serions pas un groupe aussi musicalement schizophrène si nous avions commencé à composer ces chansons il y a 10 ou 15 ans".
Lancé en catimini sur le site Internet du groupe en août, avec seulement trois jours de préavis, le troisième et plus récent effort du quatuor londonien, intitulé Intimacy, est trempé dans le même métal que ses prédécesseurs (Silent Alarm – 2005, A Weekend in the City – 2007).
Ses chansons sont cependant tranchantes comme un rasoir cette fois.
Décharges de guitares jouées en boucle sur une rythmique de pugilistes que n’auraient pas reniée les Chemical Brothers, choeurs classiques survolant avec grâce les entrechats d’un dubstep synthétique; le chanteur et parolier Kele Okereke s’est offert, avec l’aide de ses comparses, un rutilant écrin pour y coucher ses textes thérapeutiques d’amoureux éconduit.
"Il s’agit d’un disque de rupture", a-t-il sèchement laissé tomber lors de la parution virtuelle de l’album, laissant deviner que Bloc Party serait le véhicule d’un recueil plus intimiste encore que sur le précédent essai. Pourtant, Okereke y allait sur A Weekend in the City de textes à connotation homosexuelle dont se sont gargarisés les médias, abordant aussi ses origines (des parents émigrés dans une Angleterre intolérante) puis le racisme qui en découle et dont il est victime. "Cela dit, je pense que les gens en savent assez sur nous, et ils n’en sauront pas plus. Mais il est vrai que jamais nous n’avons sondé les rapports humains aussi profondément qu’avec ce disque", soutient Matt Tong, ajoutant qu’Intimacy a été entièrement créé dans cet esprit post-rupture, nécessitant de s’exprimer spontanément, sans filtre.
"L’idée, c’était d’entrer en studio et d’en ressortir avec un album. Le problème avec Weekend, c’était que nous travaillions avec des maquettes, et n’enregistrions finalement que des versions améliorées de ces maquettes. Cette fois, nous avions moins d’attentes précises à propos des chansons. C’était plus vif, plus naturel."
Le résultat n’est rien de moins que poignant, alliant à la violence des sentiments des musiques haletantes qui empruntent avec plus d’audace qu’auparavant le versant de l’électronique. L’ensemble est accessible sans être pop, rock sans être lourd, triste sans être braillard, mais surtout, il invite à la danse comme le groupe ne l’a jamais osé jusqu’à maintenant.
"Je n’irais cependant pas jusqu’à dire que c’est un disque de musique dance, conclut Tong, même si les sonorités électroniques peuvent donner cette impression-là. Nous sommes un groupe de rock moderne, ce qui veut dire que cela fait partie des possibilités qui s’offrent à nous, et que nous nous en saisissons."
LANCEMENT TRÈS INTIME
Radiohead a ouvert une porte que Bloc Party s’est empressé de franchir, lançant son plus récent album sur Internet seulement, sans date précise pour la parution de son pendant "physique".
Cette fois, il n’est cependant pas question de donner la musique. "Nous vivons dans un monde capitaliste, après tout", a déclaré Kele Okereke à Rolling Stone. Ainsi, pour la somme de 10 $, les internautes peuvent télécharger l’album Intimacy depuis le site du groupe, ou alors débourser 20 $, ce qui leur permettra d’obtenir aussi le véritable disque, qui comprendra quelques pièces inédites en prime.
Comme le groupe conserve tous les droits des versions numériques de ses chansons, il peut donc en disposer comme il lui plaît, explique le batteur Matt Tong. Secret bien gardé, la date de parution d’Intimacy n’était d’ailleurs connue que d’une dizaine de personnes avant que n’apparaisse, sur le site du groupe, un décompte qui allait s’égrener pendant trois jours, jusqu’à la mise en vente des fichiers MP3.
"Nous en avons assez du système dans lequel le disque est enfermé", expose Tong pour expliquer le geste du groupe. "Tu enregistres un disque puis il faut le laisser niaiser là en attendant que toute la machine promotionnelle se mette en place. Puis quand vient le temps de faire la tournée qui succède à la parution de l’album, tu t’en es sérieusement lassé puisque cela fait six mois que tu en parles, que tu théorises sur ses chansons. Là au moins, tout est frais. Tellement, en fait, que nous ne sommes même pas prêts à toutes les jouer sur scène."