Wire : Sur le fil du rasoir
Wire demeure toujours aussi tranchant après 30 ans. Le point avec le bassiste, chanteur et parolier Graham Lewis.
Dès ses débuts, en plein âge d’or punk, Wire se distingue par sa propension à vouloir concilier avant-garde et pop. Sa première période, marquée par le triptyque Pink Flag, Chairs Missing et 154, s’avère sa plus originale et sa plus percutante. Son esthétique aboutie tranche radicalement avec les diktats de l’époque. Le groupe anglais se sépare au début des années 1980, mais réapparaît quelques années plus tard pour offrir son matériel le plus commercial. Depuis, il poursuit son chemin sans trop de considération pour les pressions extérieures et, allergique à la redite, s’efforce de renouveler ponctuellement son discours et sa méthode.
Pour Object 47, son premier album studio en 5 ans, Wire s’est débrouillé sans son guitariste, Bruce Gilbert, qui a "démissionné" l’année dernière. Ce changement d’effectif a eu un impact considérable sur le design des nouvelles chansons, confirme Graham Lewis, depuis son domicile d’Uppsala, en Suède. "Le disque précédent, Send, souffrait de claustrophobie. C’était un disque tendu, colérique, dont l’atmosphère devait beaucoup au son de guitare très dense concocté par Bruce. Sans cette guitare, nous avons redécouvert des paysages sonores assez semblables à ceux visités durant les années 1970. Object 47 est de fait un disque plus lumineux, plus mélodieux et plus rythmé."
Sur scène, où les retrouve la guitariste Margaret Fiedler, ex-compagne de scène de PJ Harvey, les musiciens reprennent certains morceaux phare de leur époque la plus féconde. "Nous replongeons en effet dans un passé très ancien, confirme Graham Lewis, dont nous tirerons quelques artéfacts en les présentant sous un jour moderne. L’idée, c’était d’abord d’arriver à trouver un son live convaincant. Le choix des chansons est venu ensuite."
En prêtant l’oreille aux textes qui, chez Wire, ne sont jamais qu’un vulgaire collage de lettres mortes, on remarque que Lewis joue au sphinx, enfilant devinettes et interrogations. Cela témoignerait-il d’une volonté de piquer un auditoire sujet à l’engourdissement? "Je crois qu’on traverse une époque caractérisée par une confusion assez aiguë, répond le principal intéressé. Nous sommes bombardés d’informations et de questions de toutes sortes. Utiliser le mode interrogatif me semblait une façon efficace de faire écho à cet état de fait."
En leur qualité de vieux sages du mouvement post-punk, les membres de Wire exercent un ascendant non négligeable sur la relève, qui aime bien citer ses aînés dans le texte. C’était déjà vrai il y a une dizaine d’années – rappelez-vous les "emprunts directs" d’Elastica -, ça l’est toujours aujourd’hui. S’il convient qu’il est plaisant d’être cité à titre d’influence, Graham Lewis trouve tout à fait déconcertant que de jeunes groupes se contentent "de décalquer le passé". Il ajoute que "ce n’est pas anormal de découvrir certaines choses en fouillant dans la collection de disques de ses parents. Encore faut-il savoir faire sien ce que l’on entend. La copie, même bien exécutée, demeure un objet secondaire. Je n’en tire aucun plaisir. En fait, j’aime la répétition, mais pas ce genre de répétition", conclut-il en s’esclaffant.
À écouter si vous aimez /
Joy Division, Pere Ubu, Gang of Four