Bïa : Coup de soleil
Bïa a la bougeotte. Elle avait hâte à cette nouvelle tournée. Nouvelle équipe aussi; nouveau répertoire. Ceux qui s’attendent à des lamentations mélancoliques risquent de prendre un sacré coup de soleil.
Qu’est-ce qu’elle parle bien, la Bïa. Ça m’épate à chaque fois. On est attablés dans un resto du Plateau et je me dis que cette artiste-là sait où elle s’en va. Quand je pense que le français est probablement sa troisième langue (après le portugais et l’espagnol)! Elle s’exprime avec plus d’assurance et de nuance que la majorité des chanteuses que j’ai interviewées. Sur scène comme dans la vie, cette fille est un exemple d’intelligence émotionnelle. Et c’est là qu’elle gagne à chaque fois. Cultivée et honnête, elle vient vous chercher avec sa guitare et sa poésie. Avec un brin de folie, mais en sachant toujours ce qu’elle fait, même en se laissant guider par l’intuition. "J’aime rire, j’adore rigoler mais j’ai les antennes syntonisées sur le monde où nous vivons. Je ne suis pas dans une bulle de gaieté vide", résume-t-elle dans un autoportrait vite fait.
Pas de grande voix ni de grands éclats – son registre n’a rien de véritablement exceptionnel. Mais avec une chaleur et une sincérité toujours tangibles qui nous obligent à embarquer dans son jeu, dans sa vérité. La preuve, le public l’a même suivie dans son dernier virage: un bouquet de nouvelles chansons généralement plus douces, plus mélancoliques, plus dépouillées.
BÏA NOCTURNE ET BÏA DIURNE
En effet, le succès critique de son cinquième album Nocturno a été assez stupéfiant. Même si ce compact n’a pas encore atteint les beaux chiffres de vente de ses prédécesseurs (Carmin, son troisième, avait même franchi la barre des 25 000 exemplaires au Québec), tout le monde a donné le crédit à l’artiste d’être allée jusqu’au bout d’un nouveau choix esthétique parfaitement assumé. Un disque marginal, en clair-obscur, avec des couleurs terreuses, des sonorités plus âpres et, avouons-le, plus sombres que les harmonies tropicales auxquelles la Sud-Américaine nous avait habitués depuis bientôt 10 ans. "Nous avons volontairement écarté d’autres compositions de ce projet parce qu’elles étaient, disons, trop solaires. Je ne voulais pas m’éparpiller. Il fallait vraiment que cet album soit tel qu’il est. Et c’était important pour moi de laisser carte blanche à Erik West-Millette, en tant que réalisateur. Je voulais qu’il y ait une signature. Dès que j’ai commencé à lui donner les chansons pour qu’il rêve à la couleur que prendrait l’album, il a vu des quatuors de clarinettes avec des sonorités rares, toutes faites de cordes et de bois. Il a donc immédiatement décidé d’appeler Charles Papasoff et de lui confier l’écriture des arrangements. Je n’ai rien eu à faire, mais j’ai savouré chaque instant. Et j’ai bénéficié de leur complicité…"
Parce que Bïa reste une fille spontanée qui communique avec tellement de chaleur et de fantaisie, certains s’inquiétaient de la voir larguée dans des mélopées. On est drôlement rassurés de la retrouver enjouée et tout entière dans le nouveau tour de chant.
"Moi aussi, je suis contente de retrouver tout cela!" dit Bïa entre deux fourchettes avec un soleil dans la voix. "La dimension ludique surtout. Car on est tous des clowns. Mes copains sont de grands musiciens, mais ils sont drôles comme tout. Et j’ai beau être à l’aise avec tout ce dépaysement, Nocturno ne rend pas compte de tout ce que je suis. Voilà pourquoi, dans le spectacle, je m’approprie l’espace et l’ensemble du répertoire."
UN VRAI SHOW DE MUSICIENS
Et c’est là la beauté du nouveau spectacle de Bïa. D’abord, il intègre superbement une vingtaine de chansons provenant de tous les albums de l’artiste. Ensuite, c’est un vrai show de musiciens où elle est accompagnée de la meilleure formation à l’avoir jamais encadrée sur scène.
"J’ai toujours cherché à fidéliser un public. Je ne veux pas qu’on m’aime parce que c’est dans l’air du temps ou que ça passe à la radio. J’aime plutôt l’idée que des mélomanes vont m’inclure dans leur discothèque. Mais si c’est pour avoir une conversation amicale et décontractée en pantoufles sur mon sofa, je ne fais pas payer l’entrée, tu comprends? Je suis trop consciente que les gens ont choisi de venir me voir ce soir-là. Ils ne sont pas devant la télé. Ils ont payé le parking et la gardienne. La réussite de ce moment va peut-être leur donner une belle nuit d’amour; c’est important. Moi aussi, je suis public. Je veux être impressionnée, je ne veux pas qu’on me tienne pour acquise. En plus, je suis très à l’aise maintenant. J’ai beaucoup travaillé mon corps depuis trois ans. J’ai pris des cours de danse. Le medley Afro samba, ça demande à ouvrir beaucoup la voix. Je n’étais pas sûre de bien le faire. C’est un bonheur de chanter un peu de ce répertoire qui garde un caractère fort et n’est jamais à l’eau de rose."
Bref, il est loin, le temps où la jeune femme se produisait seule à la guitare avec sa copine flûtiste Dominique Bouzon. Aujourd’hui, l’équipe est complète. Deux complices de longue date: son fidèle compagnon, Erik West-Millette, à la basse électrique et le jovial Francis Covan, probablement le Belge le plus brésilien du Québec, qui passe du violon à l’accordéon. Et surtout deux piliers des scènes jazz et "world" de Montréal: le vétéran Charles Papasoff, qui reprend enfin du service avec son arsenal de sax baryton et de clarinette basse, et le batteur et percussionniste Sacha Daoud qui revient de plusieurs tours du monde avec le Cirque du Soleil.
Ceci dit, le récital prend vite l’aspect d’un voyage au bout de la nuit dans lequel la poétesse se métamorphose en conteuse pour nous guider d’un univers à l’autre. Il y a aussi Jurassik, titre de travail d’un collage de rythmiques fiévreuses où le rap paysan du Nord-Est brésilien rencontre la turlute de La Bolduc: un copier-coller de la grande dépression au krach boursier d’aujourd’hui entre deux élections!
"Mes speaches, c’est toujours de l’improvisation mais sur un sujet précis, poursuit Bïa. Des fois, je pars dans des délires. Vendredi dernier, c’était l’histoire de mon amoureux quand j’avais 10 ans que j’ai retrouvé sur Facebook récemment. Ça a donné cinq minutes d’hilarité générale. Le public, mes musiciens et moi, nous étions tous crampés! J’ai donc improvisé sur ce thème pendant trois soirs consécutifs. Mais dès que le journaliste d’Ottawa – qui avait d’ailleurs adoré ça – en a parlé dans sa critique, je l’ai enlevé du spectacle. Je ne voulais pas me parodier moi-même. Ce n’est pas un sketch. Et je ne suis pas une stand-up comic."
À écouter si vous aimez /
Bebel Gilberto, The Mosquitos, Monica Freire
LA FEMME BÏANIQUE
"Je suis une Brésilienne très montréalaise. Je vis dans les limites du Plateau-Mont-Royal, je vais aux "Dimanches brésiliens" des Bobards, je danse frénétiquement la samba et je fréquente une école de capoeira. Bref, je m’identifie complètement à cette ville. Mais je continue de voyager régulièrement en France et au Brésil pour voir les amis, la famille et donner des spectacles. Et puis, je m’ennuie toujours de quelqu’un. Où que je sois, il y a toujours des gens qui me manquent; je passe mon temps à leur courir après. Dès que je retrouve X, Y n’est pas là, et c’est un problème! C’est un peu confus quelquefois… Mais c’est ainsi. Je n’ai jamais connu un autre mode de vie. Dans mon enfance, on a vécu l’exil au Chili. Mon père, militant contre la dictature, avait été emprisonné au Brésil. Dans ma vie de femme, j’ai parcouru les mers. C’est ce qui me donne envie de voyager encore, d’aller toujours plus loin. Et, parallèlement, j’éprouve une véritable volupté à écrire en français. Pour la prose bien plus que pour la chanson, c’est même devenu ma première langue… Je m’en suis aperçue après coup. Un avion raté, quelques heures à errer dans l’aérogare et ce qui devait être mon journal de voyage s’est transformé en un véritable roman passionnel qui est aujourd’hui quasiment terminé. En 2009, j’espère me trouver un éditeur…"