Roxanne Potvin : Le coeur sur la main
Roxanne Potvin prend une grande respiration et souffle avec douceur et tremblements sur No Love for the Poisonous, troisième album qui fait figure de bouffée d’air automnale. Coup de fil.
Jointe au téléphone à quelques heures d’un vol vers la Norvège où elle allait donner une deuxième série de spectacles cette année, Roxanne Potvin a la voix de celle qui sort d’une longue période d’hibernation ayant mené à l’enfantement de No Love for the Poisonous. "Cet album est le fruit de beaucoup de questionnements et de remises en question par rapport à ce que je voulais faire de ma carrière, de ma musique, confirme-t-elle d’emblée, pour expliquer la pause entre le deuxième et le troisième album. J’ai vraiment réfléchi profondément pendant une longue période. J’avais besoin de faire beaucoup d’introspection pour en arriver à une conclusion honnête avec moi-même, pour aller où mon inspiration me guidait."
ICI ET AILLEURS
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le départ de la chanteuse gatinoise vers la Ville Reine, il y a de cela trois ans. Son déménagement avait coïncidé avec la parution de son deuxième album The Way It Feels sur l’étiquette Alert Music, établie à Toronto. Cet album fortement ancré dans ses racines blues lui a ouvert les portes à l’international en 2007 avec la tournée Blues Caravan, qui a parcouru les États-Unis et l’Europe. "Ça a été une année assez mouvementée qui a eu beaucoup d’impact sur ma vie, sur mon inspiration. Plusieurs chansons découlent d’émotions ressenties sur la route. Être en Europe, loin de ceux que tu aimes, loin de ton confort, de ta sécurité… Puis, revenir à la maison, ne plus savoir où tu es et repartir encore… J’ai beaucoup appris de cette expérience."
De cette période "d’éclosion, de croissance" a jailli une pulsion créatrice d’une grande puissance. Si la chanteuse qui manie magnifiquement la guitare s’ancre toujours dans son blues viscéral, elle amalgame mieux que jamais ses influences dans un tout fort nuancé – empruntant tantôt au funk de la Nouvelle-Orléans, tantôt au folk, au rock ou au pop classique. Ce métissage a été honoré par le réalisateur Dave MacKinnon, membre du groupe alternatif torontois The FemBots, trouvé un peu au hasard des rencontres de l’artiste. La suggestion aurait été celle d’un collègue musicien du resto de son quartier où elle travaillait en début d’année. "Je suis tout de suite allée écouter ce que faisaient The FemBots sur MySpace et ça m’a immédiatement accrochée. Ça a été comme une révélation. J’ai su que j’avais trouvé. Faque, j’ai Bobby à remercier pour ça, signale-t-elle en riant. Finalement, ça s’adonne que Dave habite à 10 minutes à pied de chez moi, qu’il a son studio chez lui… Juste en arrière du resto où je travaillais!" exprime-t-elle pour mettre en évidence les coïncidences de cette rencontre.
ET TOMBENT LES FEUILLES…
Sur le plan des textes, No Love for the Poisonous témoigne sans détour des périodes d’introspection et de dépaysement dans la vie agitée de la jeune blueswoman à la voix de miel… Comme les feuilles dont se départissent les arbres l’automne venu, elle a fait acte de dépouillement. "Il y a indéniablement un désir de dévoilement, de m’exposer un peu plus, d’être plus vulnérable, tout en prenant le risque d’être rejetée… Je pense que c’est ce désir d’ouverture qui a dominé", note celle qui assure que cette approche personnelle a tout à voir avec l’intimité recréée en studio et qui émane de cet album. "Je voulais montrer mes défauts aussi. "Regardez, c’est moi!"Je ne suis pas parfaite, l’album n’est pas parfait, les chansons non plus. Mais je voulais prendre le risque de dévoiler mes qualités et mes défauts, à travers mes vulnérabilités et mes sensibilités. C’était la route à prendre pour moi."
Plus engagée que jamais dans sa démarche artistique, Roxanne Potvin, qui signe tous les textes de l’album, offre un éventail diversifié qui navigue entre la contemplation (Wilting Flower, The Puzzle) et l’analyse sociale (Who’s the Enemy, Laws of Nature). Sur The Puzzle, elle fait justement état de cette période "d’apprentissage" qui a mené à cet album: "le désir de pousser plus loin, de comprendre et d’assembler les morceaux pour voir quelle allait être la prochaine étape". Sur Perfect Day, elle décrit une splendide journée passée au parc, peu de temps après son arrivée à Toronto. La chanson-titre, No Love for the Poisonous, tient lieu de pièce maîtresse de cet album à forte teneur en émotions. Elle témoigne avec poésie de la période d’insécurité et de doutes qui a été nécessaire à la création de cet album. "C’est une chanson très personnelle sur les sentiments négatifs, l’inquiétude qui peuvent mener à l’isolement. J’ai traversé une période difficile de doutes qui a affecté mes relations avec les gens. C’est de là que m’est venu le titre parce que j’avais l’impression de bloquer l’amour autour de moi à cause de mon insécurité qui assombrissait mes pensées. Je sentais que j’empoisonnais littéralement mes relations."
À la suite de la délicieuse La Merveille qu’elle interprétait avec Daniel Lanois sur sa précédente galette, Roxanne dévoile ici Je t’aime, ainsi que sa dualité linguistique sur Here With Me. "Le français est une immense partie de qui je suis: j’ai grandi en français, je suis allée à l’école en français; mes amis les plus proches sont francophones. Je me suis aussi intégrée de plus en plus dans la francophonie ici à Toronto", remarque l’artiste de 26 ans qui se fait un devoir d’alimenter un blogue bilingue sur son site www.roxannepotvin.com. Quand on lui fait remarquer sa propension à écrire des pièces sur l’amour dans la langue de Molière, l’auteure-compositrice le reconnaît: "Il est vrai que mes chansons en français sont plus douces, plus romantiques. On dit que c’est la langue de l’amour, non? C’est plus proche du coeur pour moi en tout cas."
Après la Norvège, Roxanne Potvin revient au bercail pour une tournée de huit dates au Québec et en Ontario, suivie d’une autre série de spectacles en février prochain. Des occasions pour elle de se dévoiler sur scène, comme une forêt en novembre…
No Love for the Poisonous
Roxanne Potvin
(Alert Music)
À écouter si vous aimez / Sue Foley, Dinah Washington, The Staple Singers