Daniel Boucher : Salut Galarneau!
Musique

Daniel Boucher : Salut Galarneau!

Bien qu’il conserve sa vie privée, Daniel Boucher signe un troisième disque plus personnel au registre tempéré. Une oeuvre aux émotions transparentes.

À lui seul, Daniel Boucher incarne les deux facettes d’une dualité québécoise récurrente, une cassure profonde entre la ville et la région, soit cette domination des artistes "du Plateau" qui étendent sans vergogne leur culture sur le reste du Québec par l’intermédiaire du petit écran, de la radio, des journaux.

Propriétaire d’une maison trônant sur une colline gaspésienne de Mont-Louis, où il vit six mois par année au gré de son horaire variable, le Québécois de 37 ans lance cette semaine Le soleil est sorti, un troisième album studio composé en grande partie sur le Plateau-Mont-Royal. "Il se passe des choses sur le Plateau que les gens de la Gaspésie ne peuvent pas comprendre, comme il se passe des choses en Gaspésie que les gens du Plateau ne peuvent pas comprendre, avance-t-il. C’est tellement différent comme univers. La Gaspésie, c’est mes racines, un besoin. J’aime me lever à six heures du matin pour passer ma journée dehors à couper du bois de chauffage et travailler sur mon terrain. C’est du bonheur, ça. Quand je viens à Montréal, je veux sortir, manger au restaurant, m’acheter une chemise."

À TOUT RAMONEUR, TOUT HONNEUR

Attablé dans un bistro du quartier Pointe-Saint-Charles avec son garçon Émile, Daniel fera alterner ses chapeaux d’artiste et de père tout au long de l’entretien, répondant à nos questions et à celles de son fils qui n’hésite pas à l’interrompre pour discuter des grands mystères de la vie. "Papa, sommes-nous l’après-midi ou le soir? Tu ne trouves pas que le journaliste a un drôle de nez?"

À travers l’interrogatoire, le chanteur se défend bien d’avoir composé un album du "Plateau". Seule exception, Parc Laurier, une chanson où il évoque une journée à la piscine avec fiston, ce petit voyou aux drôles d’oreilles. "C’est juste que j’étais dans ce quartier-là quand j’ai fini de ramoner mon tuyau, quand les chansons me sont enfin venues après des mois d’attente. J’ai sorti La Patente en 2004. Émile est né une semaine avant le lancement. Pendant les trois premières années de sa vie, j’ai écrit une seule toune, Mon soleil, qui parle justement de mon gars. Autrement, ça débloquait pas. Pour forcer la chose, j’ai décidé de me réserver du temps pour écrire. C’était dans mon agenda. Janvier 2008: écris. Février 2008: écris. Dans ce deux mois, j’ai composé Parc Laurier, une toune qui parle encore d’Émile. Puis au printemps, les pièces se sont mises à débouler. L’essentiel de l’album a été composé en quatre ou cinq semaines. J’étais dans un appartement avec une guitare acoustique. J’avais des flashs pendant la nuit et j’enregistrais mes mélodies à voix basse devant le micro de mon ordinateur portable pour ne pas réveiller les voisins. J’envoyais la piste à David Brunet qui m’aidait à mettre l’instrumentation en boîte."

Avec l’assistance du réalisateur, Daniel Boucher accouche d’un nouvel album inscrit dans une tradition de chanson plus classique. Rien à voir avec les explorations rock progressives de La Patente ou l’éclatement des structures de Dix mille matins (1999). On y retrouve bien quelques arrangements de cuivres, de violons ou de six-cordes électrique, mais dans l’ensemble, la facture reste folk. Faisant référence à la chaleur des lignes de basse et de batterie pour décrire le son organique du gravé, Daniel explique l’évolution musicale par les voix qui ont accompagné son quotidien au cours des deux dernières années. "J’ai laissé mes albums des Strokes et de Beck de côté. Je me suis mis à écouter beaucoup de chanson française: Benjamin Biolay, Barbara, Reggiani, Aznavour, Ferré. J’étais dans une passe un peu plus triste. C’est venu teinter mon travail. Si tu veux me connaître aujourd’hui, t’écoutes ce disque-là. C’est l’album le plus personnel que j’aie produit."

PLUS VIEUX QU’ELVIS

"Chacun a son chemin / Chacun cherche le sien / Chacun cherche à changer son destin", chante-t-il dans la pièce Je veux me reproduire à laquelle participe sa mère, Jacqueline Granger. Non loin des interrogations de Deviens-tu c’que t’as voulu? parue il y a neuf ans sur Dix mille matins, le passage témoigne du questionnement perpétuel de Daniel. Vivre à fond le rêve de rock star ou se construire une maison en Gaspésie et élever son fils? Embarquer dans l’autobus du show-business ou affronter les difficultés d’un artiste intègre qui fait les choses à sa manière comme lorsqu’il décida de produire lui-même La Patente? Voyage psychédélique sous-estimé, pur à 100 %, le disque n’a jamais connu le succès de Dix mille matins. 110 000 copies vendues contre 36 000. Neuf Félix contre aucun. Fraîchement séparé de la mère d’Émile, le chanteur a dû se relever. Incapable de composer pendant trois ans, il est demeuré actif en lançant deux albums en concert et en participant à la comédie musicale Dracula, un moyen d’aller voir ailleurs s’il y était. "Je voulais découvrir un autre monde que je ne connaissais pas. J’y ai découvert des gens qui travaillent très bien dans leur domaine. Bruno Pelletier est un des gars les plus professionnels que j’aie rencontré."

En 2008, Le soleil est sorti tend à démontrer une certaine stabilité dans la vie et la tête du compositeur de La Désise. "Je ne peux pas dire que j’ai atteint un équilibre, mais je suis en voie de. Arrive un moment où tu dois prendre le contrôle. J’ai choisi de vivre plus vieux qu’Elvis (qui chante Don’t Be Cruel à ce moment précis à travers les haut-parleurs du bistro). Mon album s’appelle Le soleil est sorti, c’est signe qu’il y a de la lumière au bout du tunnel. Mais pour moi, ça veut aussi dire qu’il faut vivre au maximum autant dans le bonheur que dans la douleur. Une peine intense, assumée et traversée de front, ça vaut mieux qu’un bonheur de profil. Le simple fait de réaliser que t’es malheureux est une sensation proche du bonheur. Ce sont des émotions tellement fortes que quand tu décides de les habiter, de les vivre à fond, ça te permet d’avancer."

Sans pointer vers des réponses évidentes, sans en révéler trop sur la vie personnelle de l’artiste bien qu’on y sente toutes ses émotions, les compositions du compact témoignent d’une sérénité non dite. La pièce-titre invite à repartir à neuf, Sans ma mie incite à assumer ses choix, Marcher indique les pièges à éviter et Perles-tu confronte avec assurance. Cri d’alarme écrit en 1993, Le Grand Monde s’inscrit dans un registre plus noir et semble prophétique de ce qui attendait le musicien lorsque le succès de masse lui glissa entre les doigts.

Titre le plus triste du disque, Sentir le vide est un monologue intérieur criant de vérité: "Vidé genre tanné / Pas de vivre, non / Mais peut-être de survivre / Sans conduire mon pédalo / Passé l’âge qu’avait mon guide / Quand j’ai choisi son tombeau". "C’est mon père, ça. Il est mort à 36 ans et j’en ai 37. J’ai déjà vécu plus longtemps que lui", lance Daniel Boucher avant de poursuivre en citant mot pour mot le texte de Sentir le vide. "Pis là, je tape la trail de mon kid. Pis y vente, pis y grêle. Mais c’est dimanche, pis lui trouve le moyen de tout trouver beau."

À cet instant, son soleil se trouve tout près de nous. Il dessine patiemment, sirote un jus de pomme. Ben non Émile, t’as pas de drôles d’oreilles.

Daniel Boucher
Le soleil est sorti
(Boucane Bleue/GSI)
En magasin le 11 novembre

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ET LE BUT! DANIEL BOUCHER!

Fan de hockey avoué, Daniel Boucher faisait déjà référence à l’édition 1979 du Canadien de Montréal dans la pièce Boules à mites, parue sur son premier album en 1999. Le chanteur s’imaginait jouer aux côtés de Guy Lafleur. Neuf ans plus tard, il n’hésite pas à comparer l’édition actuelle du Canadien à celle de la glorieuse époque des Lafleur, Shutt, Savard et Cournoyer. "Cette année, ils sont bons et tellement le fun à voir jouer. Je ne me souviens pas d’avoir vu une équipe aussi excitante récemment. Ils sont offensifs. Le but, c’est qu’à rentre de l’autre bord! Let’s go, on va la mettre dedans! J’ai découvert le hockey avec le Canadien de 1979 et j’ai l’impression que notre équipe actuelle est aussi excitante. Le style de jeu est pas pareil, on voit plus de passes transversales, mais je me demande qui gagnerait si le Canadien d’aujourd’hui affrontait celui de 1979 ou de 1976…"