Les Pêcheurs de perles : Triangle des Bermudes
L’Opéra de Montréal fait des Pêcheurs de perles, de Bizet, un petit bonbon aigre-doux servi dans un emballage fluo. À petite dose, c’est sans risque pour la ligne.
Comme il y a des films hollywoodiens que l’on ne va pas voir pour le scénario mais pour les effets spéciaux, il y a des opéras que l’on va voir pour leur emballage plutôt que pour leur contenu (de toute façon, on va rarement à l’opéra pour la qualité du livret…). Les Pêcheurs de perles, de Georges Bizet, n’est pas le grand opéra qui tire les larmes et donne la chair de poule; cependant, son sujet exotique (le traditionnel triangle amoureux, mais dans une contrée éloignée) permet un traitement visuel qui peut en rehausser sérieusement l’intérêt. C’est sans doute le constat qu’a fait Zandra Rhodes (décors et costumes) lorsqu’on lui a proposé le projet, et l’excentrique designer de mode ne s’est pas privée pour beurrer épais, pour notre plus grand plaisir.
Depuis le rideau de scène, à travers lequel apparaissent en transparence les pêcheurs transportés par une houle de carton-pâte, jusqu’aux palmiers psychédéliques et aux scènes de foules très animées, l’oeil est agréablement sollicité, et c’est tant mieux. Les quelques chorégraphies (huit danseurs) parsemées dans la mise en scène sont aussi les bienvenues. D’autant plus que les quelques scènes à deux ou trois protagonistes ne sont pas des plus excitantes, malgré le talent des chanteurs. À ce chapitre, on peut certes souligner la prêtresse Leila de Karina Gauvin, dont le passage de l’univers baroque à ce 19e siècle fantasmatique se fait avec naturel. La soprano était en grande forme le soir de la première et elle nous a servi quelques fioritures au moins aussi éclatantes que le décor!
Le roi Zurga est sans doute le personnage le plus fort de l’histoire et le baryton Phillip Addis le campe avec talent; il est même le seul qui arrive à nous faire croire à quelque chose (sauf dans ce très mauvais moment de mise en scène où il attrape littéralement Leila par la jambe et la tire vers lui – le public s’esclaffe!). Enfin, le timbre mince du ténor Antonio Figueroa sied assez mal à Nadir, l’amoureux transi, tandis qu’Alexandre Sylvestre donne au rôle du prêtre Nourabad une certaine consistance. La musique est très bien servie par le chef français Frédéric Chaslin, aux commandes de l’Orchestre Métropolitain.