Jane Birkin : L’âge d’or
La muse Jane Birkin vient d’écrire ses premières chansons. Et elles sont franchement formidables!
En 2006, une dizaine d’auteurs-compositeurs perpétuaient son image d’ingénue et de veuve éplorée en lui taillant sur mesure des chansons de déroute belles et désespérées. Au terme de ces exercices de groupies, elle sentit qu’il était temps qu’elle parle d’elle-même… elle-même. C’est désormais chose faite, en 12 chansons.
Curieuse, complice, familière, généreuse, sous des dehors de linotte, Jane Birkin, en entrevue, est capable de remarquables introspections sur ce qui l’habite et la hante. Cette conversation-ci s’engage pourtant dans la gêne. La gêne qui l’a saisie lorsqu’elle fit entendre à ses proches Prends cette main, un texte splendide, quasi érotique, portant sur l’affaissement des corps, sur le cruel paradoxe esthétique entre vieillesse et désir: "Quand les gens écoutaient ça, j’avais honte d’avoir été aussi crue, d’avoir osé écrire: Veux-tu être mon dernier amour ou Prends cette bouche et cogne les dents / Pousse un peu de toi dedans", dit-elle, depuis Paris. "Le poids du corps de quelqu’un, c’est une telle merveille! Même en vieillissant, on a envie que ça continue toujours." Jane Birkin a 63 ans.
Mais cette chanson réaliste fait figure d’exception. Sur Enfants d’hiver, Birkin contourne les années charnelles "Gainsbourg", évoque essentiellement son enfance aux bords de mer, les maisons hantées du souvenir des disparus, sa propre maternité, et ce père gisant sur son lit de mort dont elle n’a pas su embrasser à temps la "bouche de velours": "C’est imprégné de tout ce que j’aime, de tout ce que j’ai aimé. Les enchantements de l’enfance, les souvenirs de vacances avec ma famille à l’île de Wight. Les plages noires, volcaniques…"
Son disque, onirique et sombre, embaume le sel gris de Guérande. Cette Bretagne où elle a cherché refuge, c’est Sainte-Claire, un village du Morbihan, face à la Manche, où son british de père fut parachuté pour aider la Résistance en 1943. Des paysages d’embruns, fugaces, qui invitent une écriture presque abstraite, hasardeuse: "J’ai écrit tout ça sur les dunes, avec Dora mon chien, sur des papiers qui s’envolaient au vent, le temps d’une respiration, devant des maisons de sorcières. En marchant sur les plages, dans les souvenirs de ma vie d’enfant sauvage, j’époussetais les toiles d’araignées dans ma tête…".
"Ça parle aussi d’une certaine solitude que j’ai en commun avec pas mal de monde", poursuit-elle. Seule? Cette autre femme, penchant vers ses nuits en retournant aux sources de son enfance, conserve en tout cas de beaux amis, comme Souchon père et fils, et des moins connus, tels Phil Baron, Bertrand Louis, Alain Lanty. Des jeunots qui lui ont confectionné des musiques sombres, légères, luisantes, brûlantes comme des charbons. Toutes en modes mineures, emplies de cordes: guitares, violoncelles, violons.
Entre quelques belles chansons "domestiques", comme Maison étoilée, elle a écrit, lentement, le magnifique Pourquoi. Un texte dans lequel elle déplore ce qui empêche de dire simplement: Je t’aime. "Qui peut savoir ce que sera demain. C’est si fragile… Les enfants ne vont pas toujours bien… Le petit Depardieu est parti… On ne dit jamais assez: Je t’aime! Pourquoi on est si radin? Et si jamais il était trop tard et si on ne l’avait pas assez dit?…".
Mais la plus belle est certainement Il fait nuit, un texte qui s’apparente à l’extraordinaire Not Dark Yet, de Dylan, où la noirceur se découvre et nous couvre: "Il y a un pays / Invérifiable / Inaccessible / Comme les morts / J’ai passé ma vie à le regretter / J’ai déchiré ton image / Flottant doucement sur la plage / Si tu colles les bouts des pages / Tu trouveras sur ton visage / L’oeil où la bouche était / Trop lucide le coeur n’était plus là."
Et cette chanson-là, faut-il le dire, est belle à pleurer.
Jane Birkin
Enfant d’hiver
(EMI)
À écouter si vous aimez /
Yann Tiersen, Beth Gibbons, Francoise Hardy