Malajube : Le fil d’Ariane
Malajube termine une année de repos au cours de laquelle le quatuor a produit son troisième album, Labyrinthes, en plus de voir son chanteur et guitariste Julien Mineau s’exiler à Sainte-Ursule, où Voir l’a rencontré.
Avec ses trois artères principales, Sainte-Ursule n’a rien d’un labyrinthe. Comptant 1473 âmes selon le dernier recensement, le village de la Mauricie est longé par la rivière Maskinongé qui, à cet endroit précis, se dérobe pour former sept chutes. Le paysage rappelle de bons souvenirs à Julien Mineau, chanteur et guitariste de Malajube. Adolescent, il partait de Sorel à vélo pour prendre le traversier en direction de Saint-Ignace-de-Loyola et pédaler jusqu’aux chutes de Sainte-Ursule, "essentiellement pour "vedger" avec des amis".
Ursulois depuis un an et demi, Julien retourne aujourd’hui sur les lieux pour promener son chien, Pocomoco, un immense terre-neuve aux poils blonds qui accueille avec fébrilité les rares visiteurs à franchir le seuil de la résidence du musicien et de sa copine. Construite près de l’église dans les années 20, la grande maison de style victorien compte trois pièces au rez-de-chaussée et cinq chambres à l’étage. Les planchers fraîchement décapés, les vestiges d’une ancienne salle de bains et le plafond semi-rénové de la cuisine confèrent à la propriété un chic déglingué. Rehaussé d’une décoration disparate (vieux téléviseurs, bibelot d’Elvis, dessins abstraits, disque d’or des… Trois Accords), l’endroit a tout d’une maison grunge. "J’ai déménagé ici parce que je ne trouvais pas d’appartement à Montréal, explique Julien Mineau. J’avais pas envie de signer un bail à 600 $ par mois et de vivre dans une cour à junkies. Ma copine et moi souhaitions avoir un enfant, alors on cherchait un endroit tranquille, où je pourrais jouer de la musique, ne pas être collés sur les voisins et avoir un peu d’espace. Pour le même prix qu’un loyer dans Hochelaga, je peux dormir dans une chambre différente chaque soir de la semaine. J’ai une remise pour entreposer des outils, même si j’ai pas vraiment le temps de rénover."
Assis dans un grand salon blanc où s’accumulent les instruments de musique, Julien discute de tout et de rien: de sa passion pour les vieux Wurlitzer qu’il achète sur eBay et restaure; des jarretelles qu’il a trouvées dans le grenier; et de son horloge biologique déréglée qui le force à se lever tôt depuis une tournée au Japon. "J’ai déjà lu des articles où on prédisait que j’allais mourir jeune ou que je finirais dans un hôpital psychiatrique. Je suis pas mal plus sage que le monde peut le croire. C’est la même chose pour les autres membres du groupe."
BETE A HUIT MAINS
Mathieu Cournoyer (basse), Thomas Augustin (claviers) et Francis Mineau (batterie) ont parcouru plus d’une fois la centaine de kilomètres qui sépare Montréal de Sainte-Ursule. En plus de s’y rendre pour enregistrer une partie de Labyrinthes au mois de septembre 2008, les trois musiciens y ont rejoint Julien plus tôt dans l’année pour finaliser les 10 chansons immortalisées sur le troisième gravé de Malajube. "On a composé le disque à quatre. J’amène souvent une idée de départ, mais c’est une simple base sur laquelle le groupe construit ensuite. C’est une chimie qui nous va bien", commente Julien en expliquant du même coup le départ du multi-instrumentiste Renaud Bastien, seulement engagé pour la tournée de Trompe-l’oeil (2006). "On savait qu’on voulait un album plus cru. Même si j’ai composé plusieurs pièces au Wurlitzer, la guitare a vite repris le dessus. On voulait s’éloigner de Trompe-l’oeil, alors on est parti dans tous les sens. C’est pour ça que le disque se nomme Labyrinthes. Ça représente bien les structures bizarres de nos nouvelles pièces. Il n’y a rien de vraiment simple, on peut prendre quatre ou cinq directions dans une seule chanson."
Certains y verront une influence progressive-psychédélique marquée, mais Malajube y sent plutôt des références métal catholiques. "C’est à cause de ces mélodies apocalyptiques qui séparent parfois deux segments d’une chanson, comme dans Casablanca, par exemple. Je trouve que ça donne un air apeuré à l’album. C’est l’humour Malajube. Au lieu de l’exprimer en mots comme dans le temps du Compte complet (2004), on se lance dans des passages épiques, des gros accords d’orgue très sévères. Il y a d’ailleurs une dimension religieuse au disque. Le catholicisme me fascine. C’est tellement évident que tout ça est faux. Je me demande comment les pratiquants font pour y croire, mais en même temps, j’aimerais y croire."
Plus exploratoire que pop, le disque ne renferme pas de petite bombe accrocheuse. Sombre, à l’image de sa pochette violette, Labyrinthes n’est peut-être pas le compact qui ravira les fans conquis par l’entrain de Montréal -40 °C. Julien en est conscient. "À date, on a été chanceux. Tout le monde aime notre musique, mais là ça risque de changer. La loi de la moyenne va nous rattraper."
Il faut dire que les attentes sont nettement plus grandes qu’à la sortie de Trompe-l’oeil, vendu à 50 000 exemplaires à travers le monde. La formation a donné plus de 200 concerts dans une quinzaine de pays en 2006 et 2007. "On a passé deux ans dans nos valises. Cette fois, on sort Labyrinthes et dans un an et demi, on retombe en pause. On veut couvrir moins de territoire en même temps. Après avoir joué à Austin aux États-Unis en 2007, on prenait l’avion le soir même pour aller jouer à Berlin. Le lendemain, on était à l’Olympia de Paris, puis en Angleterre, et on revenait à Vancouver, où nous attendait le camion de tournée laissé à Austin. C’est le fun, j’ai voyagé grâce à ma musique, mais c’est pas des vacances. Quand tu frappes une grosse zone de turbulences en haut du Sri Lanka, tu te sens petit dans tes culottes."
LA VIE ET AUTRES HISTOIRES URSULOISES
Si la musique se compose à quatre, les textes de Malajube sont tous signés Julien Mineau, à l’exception de Dragon de glace, coécrit par le chanteur et sa copine Virginie Parr. Ouvertes aux multiples interprétations, les paroles du compact prennent tout leur sens lorsque l’auteur les décrypte sans pudeur. "Quand tu regardes entre mes doigts / Quand tu regardes, mon amour se vide de tout son sang", chante-t-il dans Casablanca. "Je fais référence à un concert qu’on a donné en Espagne juste après avoir appris que Virginie avait fait une fausse couche. Pendant que les spectateurs scrutaient mes doigts pour découvrir les accords de nos chansons, ma blonde vivait des moments atroces sans que je puisse l’aider. Disons que j’ai pas donné un ben bon show. On devait même porter le linge d’un commanditaire ce soir-là, mais je voulais rien savoir. J’ai juste mis les souliers parce que je souhaitais les garder après."
Le village de Sainte-Ursule teinte également plusieurs chansons du disque mettant en scène des personnages au destin tragique. "Ursuline fait référence à la légende européenne des onze mille vierges de sainte Ursule. Une jeune fille nommée Ursule souhaitait demeurer vierge et catholique, mais comme son père avait promis sa main à un païen, elle s’est enfuie avec 10 de ses amies pour ensuite se faire martyriser et mettre à mort par les Huns. Je trouvais ça bizarre de lire cette histoire tout en restant en face de l’église de Sainte-Ursule. C’est une manière pour moi de critiquer les hommes qui manquent encore de respect pour la femme en 2009.
"Quant à Luna, c’est l’histoire d’un papillon que j’ai trouvé agonisant dans le village. Pour abréger sa souffrance, je l’ai mis au congélateur. C’est ce qui m’a permis de le conserver et de faire des recherches. J’ai découvert que c’était un Actias luna qui n’agonisait pas, mais qui était en train d’accoucher. Ça m’a traumatisé. Mais le plus étrange, c’est que le jour où j’ai tué ce papillon, un petit chat est sorti de sous notre galerie. On l’a baptisé Luna.
"Porté disparu est aussi une chanson inspirée de ma vie à Sainte-Ursule. Un jour, des hélicoptères se sont mis à survoler le coin. Des gens frappaient aux portes pour montrer les photos d’un homme disparu. Il rôdait dans les cours le long de la rivière. Son corps a été retrouvé dans un village voisin."
Sur une note plus joyeuse, le texte d’Hérésie prend la forme d’un pied de nez à la société moderne lorsque Julien entonne: "Chacun joue son rôle / Je suis là pour détruire mon corps". "Aujourd’hui, chacun fait sa part pour sauver la planète ou pour joindre les deux bouts. Pendant ce temps, je suis payé pour composer de la musique weird et fumer des joints. C’est pas sérieux comme boulot. Depuis qu’il a appris que je jouais dans un groupe pour gagner ma vie, le boulanger du coin m’offre une job chaque fois que je le visite. "T’es sûr que tu ne veux pas venir travailler avec moi? Faire de la musique, c’est pas un vrai travail." Il a un peu raison, mais je ne pense pas mettre la main à la pâte de sitôt."
Malajube
Labyrinthes
(Dare To Care/Select)
En magasin le 10 février
PROCHAIN DISQUE: UNE TRAME SONORE
Une fois Labyrinthes lancé, le prochain disque de Malajube ne se fera guère attendre. Il ne s’agira pas d’un quatrième album officiel, mais bien d’une trame sonore signée Malajube pour The Trotsky, du réalisateur Jacob Tierney, mettant en vedette Jay Baruchel, Anne-Marie Cadieux et Colm Feore. "C’est un film d’école et d’ados, mais avec de bonnes valeurs. On y entendra quelques chansons de notre répertoire (Pâte filo, Montréal -40 °C), mais je travaille aussi de nouvelles compositions instrumentales plus smooth. Il va y avoir du métal et du dance. On utilise surtout des idées de pièces accumulées au cours des deux dernières années et qui n’ont jamais abouti sur nos albums. Notre deadline est au mois de mars, mais je pense que le film sortira à l’automne." Malajube participera également à la trame sonore du film consacré aux Canadiens de Montréal, qui prendra l’affiche en décembre 2009.