Martin Léon : Au gré du vent
Martin Léon renoue avec la scène afin de présenter ses chansons, nouvelles et anciennes, sous un nouveau jour. Rencontre avec un artiste en contact avec lui-même.
Sourire radieux, poignée de main énergique, teint basané… Martin Léon était fraîchement revenu de Cuba lorsque nous l’avons rencontré. Il est parti à La Havane un peu à l’improviste, sans réservation, avec sa guitare pour seul bagage. Et nous voilà à discuter de ce pays unique, de ses gens, des 50 ans de la révolution cubaine et de la musique, évidemment. "Ils manquent de tout là-bas, et pourtant, les Cubains sont un peuple si généreux, si accueillant, si élégant. Une élégance gratuite. La musique fait partie de leur vie, comme dans tous les pays pauvres. Elle est omniprésente. Un baume pour panser leurs blessures. Ils dansent comme si c’était la dernière fois qu’ils allaient danser, ils chantent comme si c’était la dernière fois qu’ils allaient chanter. Des bons musiciens, il y en a partout là-bas! Je m’installais dehors avec ma guitare et en peu de temps, des gens s’approchaient, venaient me questionner, et rapidement tu te retrouves avec d’autres musiciens autour de toi, avec un véritable petit orchestre! Moi, je leur ai apporté des cordes de guitare. Non seulement c’est assez rare à Cuba mais quand tu en trouves, elles coûtent environ 25 $, soit un mois de salaire pour la plupart des habitants de l’île. En échange des cordes, je leur demandais de m’apprendre quelques trucs, des rythmes, des façons de jouer", s’enthousiasme l’auteur-compositeur-interprète à quelques jours de sa rentrée montréalaise sur les planches du National.
Puis la conversation se poursuit sur les vieilles voitures rafistolées, l’architecture de La Havane qu’il compare au Vieux-Québec mais laissé à l’abandon depuis 400 ans. Il me montre quelques photos qu’il a prises, me parle de ses autres périples et ceux qu’il envisage. Cependant, quand on lui demande si ce dernier voyage au pays de Fidel ou les autres avant l’ont influencé musicalement, il n’hésite pas une seconde: "Non, pas vraiment. Même si j’adore ça, je ne vais pas glisser quelques bribes de cha-cha-cha, de rumba ou de salsa dans certaines des compos de mon prochain album, album qui devrait paraître dans un an si tout va bien, laisse échapper Martin Léon. Peut-être qu’un jour je me lancerai dans un projet de cha-cha-cha mais ce sera un projet total, intégral, pas à moitié. Avec des paroles en québécois, avec la vision et les mots d’un Québécois qui est en visite à Cuba. Mais c’est vraiment humainement que ça m’inspire, ça me permet de réaliser ce qu’on a et ce qui nous manque ici. Les voyages m’aident à comprendre le monde, la vie… celle des autres et particulièrement la mienne. Ils me donnent une autre perspective sur mon univers. Ils influencent certainement mes paroles mais je ne m’en rends pas compte, admet-il. J’ai réalisé que dans les pays pauvres que j’ai visités, les gens conservent la vraie valeur des choses. Chez nous, on a perdu le sens des vraies valeurs. Ici, le pouvoir passe avant l’amour. Ça s’oppose, ces affaires-là! Tu ne peux pas courir après le pouvoir et espérer avoir l’amour en même temps. J’ai rencontré plus de gens heureux dans les pays pauvres qu’ici. J’aime voyager car ça me "réhumanise", ça me "déségocentricise", si je peux utiliser ce mot-là. Parce que le métier que je fais et la vie qu’on mène ici sont très "égocentrisants". C’est pour cela aussi que j’aime me rapprocher de la nature, parce que j’ai ainsi moins de besoins", insiste celui qui est revenu tout récemment s’installer en ville après avoir passé quelques années à la campagne.
LA FORCE TRANQUILLE
Zen, Martin Léon respire le calme, la sérénité et la plénitude. À 40 ans passés, il a vu la pluie tomber et a traversé plusieurs orages. Aujourd’hui, il parle de bouddhisme, de spiritualité, de vertu, de l’instinct, de la capacité de lâcher prise, de la perte d’êtres chers, de l’amour et de l’amitié, des vraies affaires… et il me cite certains auteurs qui l’ont aidé dans son cheminement philosophique, des gens comme Deepak Chopra (Le Chemin vers l’amour) ou Matthieu Ricard (Plaidoyer pour le bonheur). "Ce sont des livres qui ne me quittent jamais."
Homme de peu de mots, Martin Léon ne parle pas pour ne rien dire, et surtout il n’écrit pas s’il ne se sent pas inspiré. Son exil à la campagne fut pour lui une façon de se ressourcer, de se retrouver, de songer à son avenir, et c’est ce qui explique le long laps de temps entre son premier album Kiki BBQ, paru en 2003, et le suivant, Le Facteur vent, sorti à la fin de l’automne 2007. "Je ne ferai pas de chansons si je n’ai rien à dire. Dans ce temps-là, je fais de la musique instrumentale", souligne celui qui a déjà réalisé plusieurs trames sonores pour le théâtre et le cinéma. "Donc, l’album Le Facteur vent est le résultat d’une certaine introspection. C’est un gars qui se regarde dans un miroir, c’est plein d’amour, ce n’est pas sombre et déprimant. C’est du groove mais smooth, avec une vision de la vie pleine de poésie. En comparaison, Kiki BBQ était plus anecdotique. Ce disque était comme une tarte aux pommes que tu apportes chez ton voisin quand tu le rencontres pour la première fois. C’est bon, c’est sucré, c’est cool. Une fois qu’on a mangé la tarte, on reste à table et on se met à parler plus sérieusement, ça c’est l’album Le Facteur vent, analyse l’ex-leader du groupe Ann Victor. Et pour l’album qui s’en vient, ben là on fume un bat, on se lève et on danse, on fait l’amour. Y aura pas mal moins de paroles. Je trouve qu’on parle trop ici au Québec. Ligne ouverte pour ceci ou cela… On parle trop de tout pour rien."
SANS ARTIFICES
"Le show qu’on fait n’est pas le show de l’album Le Facteur vent, c’est un concert, tient à préciser Martin Léon. C’est un mélange de mes tounes préférées. C’est plein de tounes de Kiki BBQ, plein de tounes du Facteur vent et ben d’autres affaires, le tout arrangé de façon fort différente. Orgue, violoncelle, drum, guitare de nylon, lap steel… c’est une autre affaire. J’ai aimé ça, refaire les arrangements. Faire un show juste sur Le Facteur vent, j’aurais trouvé ça trop personnel pour être partagé at large. C’est personnel en crime, cet album-là. Donc toutes les chansons ont été modifiées, certaines sont plus rapides, d’autres sont plus lentes", explique le polyvalent musicien à propos de son nouveau spectacle, lui qui était resté absent de la scène pendant près de trois années. "Je n’avais pas le goût de faire de shows ni de tournées, et je n’avais rien à dire. En plus, c’est justement le fait de modifier grandement mon répertoire qui m’a donné le goût de revenir sur scène."
Le spectacle que propose Martin Léon et ses acolytes (Mélanie Auclair au violoncelle et à la voix, Alexis Dumais à la contrebasse et aux claviers, Martin Lizotte à l’orgue et Pascal Racine-Venne à la batterie) est donc placé sous le signe de la sobriété, sans tape-à-l’oeil. "C’est un concert très acoustique, sans artifices, sobre. J’ai mis à peu près un an à cogiter ce show-là. Mais pour les représentations à Montréal, je songe à incorporer Rick Haworth pour qu’il vienne jouer de la pedal steel à une couple de places. Moi je demeure à la guitare de nylon, et c’est vraiment l’fun. Oui je suis nerveux, mais le goût de partager tout ça vainc ma nervosité."
À écouter si vous aimez /
Jean-Louis Murat, Daniel Bélanger, Sammy Decoster