Pierre Lapointe : De mutant à humain
Après s’être glissé dans la peau d’un mutant, Pierre Lapointe retrouve son corps d’Homo sapiens sur Sentiments humains.
La coupure est radicale. L’été dernier, et encore cet hiver, les compositions du spectacle Mutantès étaient celles de mutants s’unifiant au nom de l’amour devant l’adversité. Aujourd’hui immortalisées sur Sentiments humains, le troisième album de Pierre Lapointe, 12 de ces mêmes pièces sont au service de l’homme. Preuve qu’entre les émotions d’un mutant et celles de votre voisin, il n’y a qu’un pas.
"Après Mutantès, je savais que le côté mutant-futuriste-spatial des chansons du spectacle devait être évacué si je voulais que ces pièces vieillissent bien sur album, explique Pierre Lapointe. Les mutants, ça passait bien sur scène, mais sur disque, il fallait aller ailleurs."
Si les chansons du méga-spectacle présenté dans la métropole en première lors de la 20e édition des Francofolies, puis à Québec en février dernier, épousent aussi facilement les réalités humaines, c’est que Pierre Lapointe s’y livre comme jamais. Exit ce jeune chanteur pédant à qui l’on a reproché d’aligner les belles images sans donner grand sens à ses textes. À 28 ans, Pierre a peut-être connu la gloire rapidement, mais il demeure fort conscient des conséquences de ses gestes. Il n’a qu’à lever la main pour faire courir la presse et les foules. Sauf qu’au coeur du tourbillon, le créateur a su trouver sa voie, et les thèmes de ce nouveau gravé sont clairs: la vie, la mort, l’amour, les déchirures.
"Malgré les décors, les costumes et la grosse machine qu’était Mutantès, à travers les chansons, c’est le vrai Pierre Lapointe qui se confiait, celui que je suis dans la vie de tous les jours… Les mutants, c’était un prétexte pour parler de la complexité de l’individu. Prends deux êtres complexes et essaie de les faire vivre ensemble pour voir. On est constamment en train de s’interroger et de se remettre en question. C’est le combat intérieur du bien et du mal", lance le chanteur avant de rire, conscient du cliché énoncé. "Une chanson doit émouvoir les gens. Elle sera toujours plus efficace si elle est profonde et vraie. J’ai aujourd’hui l’impression d’avoir trouvé ma place. Je peux me livrer sans que ça me pèse à l’intérieur."
UNE PREPRODUCTION DE LUXE
L’artiste se plaît lui-même à le dire, Mutantès était la préproduction de luxe de Sentiments humains. "Grâce au spectacle, j’ai découvert que je voulais un album avec moins de bidouillages électroniques. J’ai compris qu’il fallait que je me rapproche du côté glam rock des chansons et que je m’éloigne de l’univers space. J’ai aussi réalisé que l’album ne devait pas être aussi long que le concert parce qu’il serait trop chargé, trop lourd."
Riche et épique, ce troisième compact s’avère plus ramassé et plus homogène, comparé à La Forêt des mal-aimés, qui était "plus bébelle". En lien avec les références glam rock empruntées à T-Rex ou David Bowie, Pierre Lapointe et ses musiciens poussent leurs explorations dans la décennie 70 lors de quelques passages rock progressif (Tu es à moi). Ceux qui ont vu Mutantès remarqueront quelques changements. La batterie retarde son entrée sur Je reviendrai, et Le Prisme bienveillant est devenu Le Magnétisme des amants.
Le compositeur a encore fait équipe avec le réalisateur et arrangeur Philippe Brault, sa "blonde de job", mais a aussi fait appel aux oreilles extérieures de Daniel Bélanger. "Philippe et moi, on n’a pas besoin de se parler. On joue une toune, on se regarde, on sourit et on sait qu’on l’a. Mais à un moment, on embarque tellement dans notre bulle qu’on en perd notre jugement. C’est là qu’est intervenu Daniel. Il nous a convaincus d’enlever Les Petites Morts (qui se retrouve plutôt sur un maxi de cinq titres offert en boni avec les 15 000 premières copies de Sentiments humains) et d’ajouter Au bar des suicidés, une chanson joyeuse à la Sweet Charity, malgré son texte sombre, qui me servait à alléger Mutantès. Daniel est arrivé un matin en disant: "Les gars, vous ne pouvez pas enlever cette toune-là. C’est celle qui fait le plus danser ma fille de 12 ans." Ça a été l’argument massue."
Pierre Lapointe
Sentiments humains
(Audiogram/Select)