Lhasa : Folk toi, folk moi
Musique

Lhasa : Folk toi, folk moi

Six ans après The Living Road, Lhasa refait surface avec un troisième album, son premier entièrement en anglais, où la chanteuse épouse un registre folk noir.

Petit elfe à la voix chaude, Lhasa de Sela aime prendre son temps. Assise dans un café italien, elle sirote son thé vert tranquillement, contraste marqué avec les quelques autres clients plus bruyants qui enfilent les espressos bien tassés. Alors que six ans s’étaient écoulés entre la parution de son premier album, La Llorona (1997), et celle de son deuxième, The Living Road (2003), six autres printemps se sont succédé avant que la chanteuse américano-mexicaine établie au Québec ne revienne avec un troisième album intitulé Lhasa, simplement.

Si la récipiendaire du prix "Meilleur artiste des Amériques" décerné par la BBC en 2005 avait profité d’un arrêt au début des années 2000 pour s’envoler vers l’Europe et travailler dans un cirque, cette fois, elle est demeurée sagement à la maison, à Montréal, dans le quartier Mile End. "Une fois la tournée pour l’album The Living Road terminée, j’ai fait une pause et j’ai commencé à écrire de nouvelles chansons différentes de ce que j’avais composé dans le passé. J’ai essayé de les jouer avec le groupe qui m’accompagnait alors sur scène, mais ça ne cliquait pas. Je me suis alors demandé ce que je voulais faire avec ces pièces. Les garder ou les jeter? Les enregistrer ici ou à l’étranger? Avec qui? Après réflexion, j’ai compris que je voulais un album de quartier. Je voulais le réaliser moi-même, près de chez moi, avec des musiciens que je côtoie tous les jours."

Lhasa s’est ainsi rendue au studio Hotel2Tango entourée de quelques membres du circuit folk anglophone montréalais. De décembre 2007 à novembre 2008, elle y a couché sur ruban des compositions enracinées dans un folk sombre qui a plus en commun avec les complaintes des Cowboy Junkies et l’oeuvre de son ami Stuart Staples qu’avec la fibre mexicaine de La Llorona. "C’est une question d’influences. Lorsque j’ai écrit La Llorona, j’écoutais énormément de fado, de musique mexicaine et tzigane. Au cours des cinq dernières années, mes goûts ont changé. J’ai découvert de nombreux artistes anglophones: Bonnie Prince Billy, Antony and the Johnsons, Cat Power, Al Green. J’ai aussi accroché sur l’album Night Beat de Sam Cooke, un disque incroyable, très mélancolique."

EN PAIX AVEC SA LANGUE

Avec ces références en tête, Lhasa a rangé ses dictionnaires espagnol et français pour écrire en anglais, sa langue maternelle. Elle n’aurait jamais osé il y a 15 ans. "J’ai fait tout un cheminement mental pour en arriver là. J’ai grandi au Mexique dans un village qui se transformait en endroit touristique. Les Américains débarquaient près de chez moi et manquaient totalement de respect envers les Mexicains. Ils leur parlaient comme s’ils étaient des idiots. On voyait des femmes se promener en bikini dans la rue alors que les habitants du coin étaient très pudiques. Comme nous parlions anglais à la maison, ces touristes me faisaient honte. Quand je suis arrivée à Montréal en 1991, je me suis tout de suite tournée vers la culture francophone. Je m’excusais lorsque je parlais anglais. Mais aujourd’hui, chanter en anglais est pour moi un atterrissage. Je reviens au bercail."

Une fois de plus, la musicienne aborde des thèmes douloureux: la mort, l’amour qui blesse, le mensonge. Mais peut-être à cause de cette voix tragique ou de ce spleen omniprésent, on a tendance à voir dans l’oeuvre de Lhasa de la tristesse et de la romance où il n’y en a pas. The Lonely Spider pourrait être interprétée comme une histoire de jalousie, "mais je me suis simplement amusée avec la comparaison populaire voulant qu’une femme, telle une araignée, tisse sa toile pour attraper son homme. Je trouve ça ridicule qu’on traite quelqu’un d’araignée juste parce qu’elle veut des enfants, une jolie maison et s’engager. Est-ce être une araignée que de vouloir mener une belle vie?"

Pire encore, What Kind of Heart a des allures d’ode à l’amour pur, celui où l’apparence n’aurait aucune importance. Erreur. "Je l’ai écrite en pensant à deux personnes qui font l’amour dans le noir avec une main de bois attachée à leur dos qui claque contre leur corps…"

Lhasa
Lhasa
(Audiogram/Select)

À écouter si vous aimez /
Cowboy Junkies, Tindersticks, Sam Cooke