Patrick Watson : Petit conte nordique
Musique

Patrick Watson : Petit conte nordique

Avec Wooden Arms, la formation Patrick Watson lance son meilleur album en carrière. Mais à quoi bon discuter musique quand on peut parler de dettes, de chicane et de pare-brise défoncé…

À peine ai-je mis les pieds dans les bureaux de la maison de disques Secret City que le chanteur de la formation Patrick Watson, un certain Patrick Watson, me prévient. "J’espère que tes questions sont à choix de réponses. On ne se sent pas trop d’attaque pour une entrevue songée", blague-t-il, ou si peu. "Sérieusement, on n’aime pas répondre aux questions sur notre musique. C’est malsain. La musique, ça ne s’explique pas, ça se joue. Il faut la laisser parler d’elle-même."

Vrai que les 45 minutes de Wooden Arms, quatrième effort du groupe, ont beaucoup à raconter. Moins chargé que le précédent Close to Paradise, mais tout aussi angélique, le gravé nous prend par la main pour nous élever à quelques kilomètres d’altitude. Les lignes de piano y sont hypnotiques, les arrangements, sublimes et les ambiances, tantôt intrigantes. Les comparaisons avec Philip Glass tiennent toujours, mais Patrick Watson les digère à sa façon, y ajoutant une quatrième dimension délicate et féerique évoquant les paysages sonores d’artistes nordiques. La valse (Wooden Arms chantée avec Lhasa), le folk (Big Bird in a Small Cage avec Katie Moore) et la pop beatlesque (Man Like You) y trouvent aussi écho. Galopantes, les percussions y jouent un rôle prédominant. De par leur nervosité et leur inventivité, elles ajoutent au caractère énigmatique des pièces ponctuées de guitares, de charango, de banjo, de marimba, de harpe, de cordes et de cuivres.

"Je me suis construit une batterie qui sort des normes du rock, explique Robbie Kuster. J’étais influencé par le travail de Carl Stalling qui a composé de la musique pour des dessins animés de Disney et des Looney Tunes. En utilisant des sons non conventionnels (comme un vélo dans la pièce Beijing), nous voulions des percussions très narratives. Je voulais que le rythme supporte les histoires des chansons. C’était aussi pour moi une façon de m’amuser, de jouer différemment. Je suis allé dans des brocantes pour trouver des cossins en métal qui sonnaient bien."

"Je cherchais à reproduire une ambiance à la Twilight Zone, à prendre une histoire banale et lui donner une twist surnaturelle, commente Patrick Watson. Je vois notre disque comme un album de folk-science-fiction. Ça se reflète dans l’ambiance des chansons et dans leurs textes. Fireweed est l’histoire d’un type qui, après un feu de forêt, plante sa propre peau dans le sol pour voir la nature pousser à nouveau. Travelling Salesman est à propos d’un vendeur d’outils pour mesurer dans le noir…" Fin de la discussion musique.

ACCIDENTS DE LA ROUTE

À défaut d’être loquace à propos de sa création, Patrick Watson est un véritable livre ouvert lorsque vient le temps d’aborder les tensions ressenties à l’interne au cours de la tournée qui a suivi la parution de Close to Paradise, compact écoulé à plus de 100 000 exemplaires mondialement et lauréat du prix Polaris en 2007 (coiffant Neon Bible d’Arcade Fire et Reminder de Feist au fil d’arrivée).

Il faut dire que le groupe est l’un des plus fêtards qu’il m’ait été donné de croiser hors scène. En 2006, au Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue, Patrick Watson avait galéré toute la nuit après son concert récompensé d’un prix Étoiles Galaxie. Sous les aurores boréales, le chanteur a pris le contrôle de la base de plein air où demeuraient les artistes. Il a chanté, lancé des bûches dans le feu et couru, à moitié nu, dans un lac glacial vers les 7 heures du mat’. À 10 heures, le visage pâle mais les yeux encore brillants, il n’avait toujours pas fermé l’oeil. Il s’apprêtait à repartir pour Montréal afin de jouer le soir même au festival Osheaga.

Un an plus tard, cette fois au festival Iceland Air Waves en Islande, je saluais le groupe chaque matin, vers 9 heures à la cafétéria de l’hôtel, où un petit-déjeuner était servi. Le hic, c’est qu’à tous coups, les Patrick Watson venaient à peine de rentrer à l’hôtel après une nuit accrochés à une bouteille de Brennivin (alcool de patate typique islandais). "Il a fallu qu’on se calme à la mi-tournée. À force de crier dans les bars, je me réveillais sans voix, ce qui est plutôt problématique pour un chanteur."

Malgré tout, plus la tournée avançait, plus la fatigue gagnait la troupe. "J’ai fini par détruire un pare-brise tellement j’étais épuisé, confie Patrick. Je dormais dans la camionnette, et nous étions arrivés à Vancouver. Les gars m’ont alors réveillé pour qu’on sorte le stock. J’ai crié un immense FUCK! et je me suis mis à donner des coups de pieds dans le pare-brise jusqu’à ce qu’il défonce. J’étais pu capable, fallait que ça sorte."

Dans la même catégorie des camionnettes endommagées, il y a celle d’une compagnie de location bousillée dans le Dakota du Nord. Accident qui n’a fait aucun blessé. "Je conduisais sur une route glacée, et la pièce Hey You de Pink Floyd s’est mise à jouer à la radio, raconte le bassiste Mishka Stein. J’ai monté le son et j’ai soudainement perdu le contrôle. Nous sommes sortis de route, et la camionnette a fait quelques tonneaux. Elle a été déclarée perte totale, mais comme j’étais derrière le volant et que seul Patrick était assuré à titre de chauffeur, nous avons dû payer la camionnette à Budget. Nous avons reçu la facture le même jour que nous avons gagné le prix Polaris. Le plus drôle, c’est que nous devions 20 000 $ à Budget et que notre bourse pour le Polaris était de 20 000 $. Nous avons payé Budget avec le chèque. D’ailleurs, la compagnie nous a inscrits sur une liste noire. Elle ne nous louera plus aucun véhicule."

La tension a aussi monté lorsque Robbie Kuster a déserté le groupe, l’instant de quelques heures, lors d’un périple en Gaspésie. "Nous devions jouer le soir à Gaspé, mais en après-midi, j’étais écoeuré et j’ai décidé de quitter le groupe. Je suis parti sur le pouce avec ma batterie. Personne ne m’embarquait, alors j’ai dû me résoudre à retourner à Gaspé pour donner le spectacle. Après, nous avons bu, et je me suis réconcilié avec les autres."

Malgré tout, personne n’a songé à faire une pause lorsque la tournée a pris fin. Au contraire, la formation s’est jointe à Karkwa pour créer le magnifique concert Karkwatson. Elle a signé la trame sonore de C’est pas moi, je le jure!, et les quatre musiciens ont collaboré avec de nombreux artistes (Lhasa, Marie-Pierre Arthur, Beat on Canvas, David Marin). "Tu ne peux pas arrêter de faire de la musique parce qu’autrement, tu perds tes réflexes, explique Watson. Après la tournée, nous voulions passer à autre chose. Le meilleur moyen pour nous était d’entrer en studio et d’enregistrer nos nouvelles pièces illico."

Mais la troupe n’a pas délaissé les avions pour autant. Wooden Arms a été enregistré à Montréal, à Paris (au studio d’Olivier Bloch-Lainé, le conjoint de Marie-Jo Thério), en Suède et en Islande (au studio Greenhouse où a travaillé Björk). "Nous voulions capter l’ambiance islandaise. Tu sais à quoi ça ressemble, tu sais ce que je veux dire", me lance Patrick.

L’homme à la casquette a raison. Wooden Arms transmet avec merveille toute la magie du pays de glace. Une île aux paysages lunaires, avec ses champs de lave séchée, et où une bonne partie de la population croit toujours aux elfes.

Patrick Watson
Wooden Arms
(Secret City/EMI)

À écouter si vous aimez /
Sigur Rós, Philip Glass, Johann Johannsson

ooo

Exil vers la Suède

Si trois des membres de Patrick Watson habitent toujours à Montréal, le guitariste Simon Angell vit depuis un an en Suède avec sa copine Erika Alexandersson, aperçue avec la formation Loney, Dear. Entourés de trois autres musiciens, ils ont fondé le groupe pop-atmosphérique THUS:OWLS qui vient de lancer son premier album, Cardiac Malformations, sous une étiquette indépendante de Stockholm. "Ce que je fais avec Patrick Watson est prioritaire. D’ailleurs, THUS:OWLS devrait se produire en première partie des concerts de Watson en Europe cet automne. Ça m’amène à faire le trajet Stockholm/Montréal plus souvent qu’à mon tour, mais on s’arrange pour que mes séjours à Montréal soient profitables. Mes horaires doivent être pensés en conséquence. Je ne viendrais pas pour un simple concert à Saint-Hyacinthe. J’ai aussi enregistré un album solo qui doit être mixé la semaine prochaine (www.myspace.com/simonangell). Je ne sais pas encore si je vais le lancer sous une étiquette canadienne ou suédoise." Erika Alexandersson chante également sur Wooden Arms.