Eleni Mandell : Cuir et velours
Voix de miel, regard de velours et coeur de cuir: mademoiselle Eleni Mandell revient souffler sur les braises d’un amour qui ne veut pas mourir.
Eleni Mandell est de retour après un premier spectacle plus discret au Divan Orange en mars dernier. La Californienne se produira au FIJM pour une quatrième fois depuis 2002. Devant cette prestigieuse invitation, elle ne cache pas son enthousiasme. "Ce n’est pas toujours facile d’évoluer dans le business de la musique. Parfois, je me demande si je ne devrais pas tout abandonner… Dans les moments creux, je m’interroge encore sur ce que je vais faire quand je serai grande. Avocate, peut-être, pour combattre l’injustice? Quand je reçois une telle invitation, je vois la lumière au bout du tunnel. Pour mon band et moi, jouer au Festival de Jazz est un honneur. On a hâte. Je vais devoir me trouver une jolie robe", badine-t-elle.
Je reviendrai à Montréal
Ce grand festival a lieu dans une ville avec laquelle Eleni Mandell entretient un flirt depuis des années. "J’ai développé une connexion toute spéciale avec Montréal, d’abord par mes liens avec la maison de gérance Bonsound et Gourmet Délice (ndlr: direction de la promotion, partenariats et développement international), mon premier ami montréalais. Parfois j’ai l’impression que vous saisissez mieux ma musique que les Américains. J’aime votre culture, vos escaliers en colimaçon, vos bagels…" Une attraction qui va dans les deux sens: Eleni Mandell a un bassin de fans fidèles. "C’est flatteur d’être appréciée par les gens d’une ville aussi cool."
Sur Artificial Fire, paru en février dernier, Eleni plante le décor de la pièce-titre dans notre ville. "Je me souviens de l’avoir composée à 7 heures du matin chez Gourmet! Ce jour-là, j’étais inspirée."
Plus anguleuse et électrique, la nouvelle offrande de Miss Mandell tranche avec le magnifique Miracle of Five (2007), dans lequel on est encore lové… Une bulle si enveloppante qu’elle brouille habilement les frontières entre jazz, country et folk. Le genre d’album que l’on peut écouter seul à quatre heures du matin, offrir à son père à Noël ou glisser dans le lecteur le jour de la naissance d’un enfant… C’est chouette qu’Eleni n’ait pas refait deux fois le même album, mais est-ce que ce fut aussi difficile pour elle de s’en détacher? "C’est drôle parce que moi, je le vois comme mon album des jours de pluie. Rétrospectivement, je constate que les gens l’apprécient, mais sur le coup, je récoltais plutôt des commentaires du genre: "Pourquoi tant de chansons lentes et un album aussi triste?" Quand ça fait deux ans que tu vis avec un album, t’es content de passer à autre chose. Mes musiciens et moi avons enregistré Artificial Fire dans un état de fébrilité joyeuse. En plus, ça fait presque dix ans que je joue avec eux; on était vraiment sur la même longueur d’onde, à un point tel qu’à un moment donné, on a envisagé de le lancer sous un nom de band… sauf qu’on n’a jamais pu trouver un nom qui nous plaisait!"
Sur ce septième album, Eleni Mandell renoue avec la fille qui aime rocker… "Et danser! Le fait de troquer ma guitare acoustique contre une électrique m’a plongée dans une ambiance complètement différente." L’album est inspiré d’émotions reliées à l’adolescence. "La chose qui me manque le plus de mon adolescence, c’est cette espèce d’éblouissement constant devant la musique. Tout est nouveau, tu découvres ce qui te plaît, tu sèmes les graines de ce que tu récolteras plus tard… À cette époque, je capotais sur X, un groupe punk de Los Angeles qui a eu une grande influence sur la scène musicale de L.A. Aujourd’hui, leur ancien batteur joue avec nous! Ce type d’excitation me manque terriblement, je la recherche. Ça fait dix ans que je trimballe ma guitare acoustique, mais ma première était électrique… Alors j’imagine qu’avec Artificial Fire, j’ai voulu revenir à mon plan initial: jouer dans un band punk-rock!"
Radiographie d’une décennie de musique
Au fil des ans, depuis ses débuts plus rock dans l’esprit de PJ Harvey avec l’excellent Wishbone, un album autoproduit suivi deux ans plus tard de Thrill, jusqu’à son escapade country en 2003 (Country for True Lovers) et sa touche jazz très personnelle de plus en plus affirmée, on a pu voir Eleni Mandell évoluer de façon tout à fait intuitive. "C’est dû, en partie, à ce que j’écoute. Quand j’ai pris une tangente plus country par exemple, j’étais sous le charme de George Jones, Tammy Wynette et Loretta Lynn… Il y a aussi d’autres influences en jeu, dont je ne suis pas toujours consciente. J’ai hâte de voir vers quoi je vais me diriger au cours des prochaines années. Mon processus de création est très "organique"."
Avec le temps, mademoiselle Mandell a fini par se libérer de l’emprise d’un mentor de taille: Tom Waits. "Je sens que je n’ai plus besoin d’émuler quelqu’un, de me rallier à la vision du monde d’un autre artiste. Sans vouloir paraître irrespectueuse à son endroit, disons que je peux aujourd’hui me contenter d’être moi-même et de créer à partir de ma propre sensibilité."
Les musiques et la voix d’Eleni Mandell suggèrent quelque chose de rétro-chic. "T’es pas la première à me dire ça. C’est vrai que j’écoute beaucoup de musique du passé, que j’aime les vêtements vintage et les vieux films… Mais c’est tellement ancré en moi que je ne m’en aperçois pas!"
Quand on essaie d’analyser les raisons qui font qu’on aime tant se réfugier dans les chansons d’Eleni, on en vient à cette conclusion: la Californienne a trouvé l’équilibre parfait entre voix chaleureuse, apaisante, et un potentiel plus rock edgy. Cuir et velours. Ceux qui la suivent depuis ses débuts savent qu’elle peut aller vers quelque chose de plus cru. Et ceux qui la connaissent depuis peu le sentent. La voix grave et caressante d’Eleni Mandell est chargée différemment en 2009. "J’essaie d’y mettre de l’émotion sans en faire trop, d’être plus subtile. J’essaie… de ne pas essayer, en fait! C’est plus honnête, moins prétentieux."
Moins noire que PJ Harvey donc, mais plus foncée que le bleu-gris feutré de Feist. Une question nous taraude. Comment se fait-il que celle que le New Yorker a sacrée "meilleure artiste du business sans contrat avec une major" soit encore ce secret trop bien gardé? Désir de rester en marge et de faire son chemin à sa façon? Eleni se durcit un peu: "Non, ça n’a jamais été un choix. Je m’étais entendue dès le départ avec Zedtone (petit label torontois) que si une grosse étiquette m’abordait, j’allais faire le saut… Cette offre n’est jamais venue."
Enfin, l’écriture s’est affinée en une décennie de composition de chansons. Dans une entrevue accordée aux Inrockuptibles, PJ Harvey racontait que lorsqu’un texte lui donne du fil à retordre, elle retranche tout ce qui lui plaît et repart avec ce qui reste. Qu’en est-il d’Eleni? "Mon écriture s’est simplifiée. Je suis plus concise qu’avant, j’arrive à en dire plus avec moins de mots et j’accepte que ce ne soit pas toujours parfait en partant. J’ai appris à ne pas forcer les choses, à rester patiente, poursuit-elle. Je n’ai pas d’horaire et il y a des périodes où j’écris peu. Mais je ne m’en fais plus avec ça; je sais qu’à un moment donné, j’écrirai à nouveau. Je laisse les choses arriver… Mais je prends des notes! Si tu fais attention à ce qu’il y a autour de toi, tu trouveras toujours des sujets d’écriture. C’est important de rester observateur. Il faut demeurer à l’écoute."
À voir si vous aimez /
PJ Harvey, Patsy Cline, Feist
French touch
En plus d’aimer Montréal, la Californienne s’intéresse à la culture française: Brel, Brassens et Gainsbourg chantonnent dans ses oreilles et ses amis montréalais insistent pour qu’elle apprenne le français… Rappelons qu’avec l’aide de Philippe B, Gourmet Délice a traduit une de ses chansons et ça a donné Dis-moi au revoir encore, lancée sur un 45 tours incluant aussi un second titre en français (2007). "Je commence à mieux saisir ce qui m’apparaissait au début comme un brouillard. Laisse-moi te dire qu’il faut être assez bilingue pour suivre les textes de Brassens; pour être franche, j’y comprends à peu près rien! Mais j’aime son jeu de guitare, sa voix, l’émotion qui passe dans ses chansons et l’ambiance… Il y a là quelque chose de si charmant!"