Pierre Lapointe : Les séquelles
Musique

Pierre Lapointe : Les séquelles

Pierre Lapointe se délivre de la grandiloquence du projet-événement Mutantès pour s’exprimer sur scène dans un format épuré et à dimension humaine.

Présenté à huit reprises, le spectacle multidisciplinaire Mutantès a été vu par plus de 20 000 personnes qui en ont retrouvé les pièces sur l’album Sentiments humains (écoulé à 40 000 exemplaires depuis sa parution en avril). Les autres ont pu constater à quel point ce projet laboratoire a transformé son concepteur, qui pose aujourd’hui un regard mitigé sur le spectacle à grand déploiement. "J’ai vu les limites de cette esthétique et je me disais que ça allait probablement mal vieillir", explique-t-il.

Bien qu’il soit accoutumé à des projets ambitieux qui génèrent quantité de stress – on n’a qu’à penser à la captation télé et radio de La Forêt des mal-aimés avec l’Orchestre métropolitain (OM) devant 100 000 personnes, qui a aussi fait l’objet d’un CD -, jamais Pierre Lapointe n’avait atteint d’aussi hauts sommets. "J’ai fait une autopsychanalyse sans m’en rendre compte. Je me suis retrouvé sur scène à vivre une expérience très intense. De vieux souvenirs sont remontés. J’ai tellement vécu dans un état d’angoisse que c’est devenu une démarche personnelle, je dirais même spirituelle. Je suis sorti de là complètement bouleversé, mais aujourd’hui je constate que c’est probablement l’expérience la plus riche de ma vie parce que même mon corps en a gardé des séquelles. Je suis devenu un autre interprète, un autre gars."

Une métamorphose qu’il a observée dans son propre instrument: "Ma voix a changé durant la présentation de ce spectacle. Je me suis mis à mordre dans mes mots comme jamais. Avant, je n’aurais jamais pu écrire "j’ai frappé contre le mur ma tête" (L’Enfant de ma mère) et le livrer avec autant d’agressivité."

Et malgré ce que la rudesse des paroles suggère, Pierre Lapointe a écrit les titres de Sentiments humains dans un état quasi euphorique. "Je les ai écrites dans l’état de béatitude qui a suivi le show avec l’OM. Je m’étais réconcilié avec l’être humain, j’ai touché une forme de nirvana. J’ai créé en toute liberté et aisance."

La décantation de Mutantès, tout comme l’enregistrement de Sentiments humains, s’est faite en compagnie de ses musiciens, Les Mal-aimés… "Quand je suis arrivé en studio, on avait tellement travaillé en clan… Il y avait une chimie incroyable entre nous."

À l’image de la pochette noir et blanc très "terre-à-terre" qui accompagne l’album, le spectacle se présente dans son plus simple appareil. Aucun artifice, sinon les éclairages léchés de Martin Labrecque (Cirque du Soleil, Mutantès). Exit le costume et le personnage de mutant spatio-futuriste. "Mon mot d’ordre, c’était: "Pas compliqué. Beau." Contrairement à Mutantès, qui était comme un show de théâtre très placé, il n’y a pas de quatrième mur. Je raconte ce qui me passe par la tête, je suis sensible aux réactions. C’est un show libre comme La Forêt des mal-aimés…"

Plus que quelques dates sont à l’agenda de Pierre Lapointe avant qu’il ne squatte La Boule noire de Paris pendant deux mois à l’automne, à peine deux semaines après que Sentiments humains sera paru en France sous l’étiquette Wagram (Karkwa, Corneille). Des trois concerts estivaux, un arrêt obligé et exigé au Centre national des Arts. "Le CNA, c’est mon enfance, c’est Casse-noisette, c’est la découverte d’artistes d’exception, de la danse contemporaine… Adolescent, j’y ai fait ma culture scénique à 80 %. Et là je vais voir pour la première fois les loges, l’envers de la salle…"

À écouter si vous aimez / Barbara, Léo Ferré, David Bowie