Mara Tremblay : Simplement Femme
Mara Tremblay se réinvente sur Tu m’intimides, un quatrième album dont l’audace se ressent jusque sur la pochette, où la chanteuse pose en costume d’Ève.
Les magasins Wal-Mart de la province ont bien failli refuser de vendre le nouveau disque de Mara Tremblay. Si la chaîne américaine a fini par accepter le gravé dans ses présentoirs, aux côtés des produits nettement plus vulgaires des Pussycat Dolls, en revanche, aucune affiche promotionnelle ne sera tolérée. Pourtant, avec son traitement noir et blanc et les longs cheveux de Mara qui recouvrent stratégiquement une partie de ses seins, la couverture de Tu m’intimides, réalisée par la photographe Valérie Jodoin-Keaton, s’inscrit dans une pensée plus artistique que provocatrice. Oubliez chihuahuas ou papillons, après s’être cachée dans l’ombre pour contempler les nouvelles lunes, la musicienne se dévoile sans pudeur, affichant tout de même un regard frondeur, contraste souhaité avec le titre de ce quatrième album.
FEMME DE COEUR
"J’ai décidé de m’assumer en tant que femme, confie Mara Tremblay. On parle souvent de la crise de la trentaine ou de la quarantaine; moi, ça m’a happée à 38 ans. J’étais une mère, une musicienne, mais à l’intérieur, je n’étais pas une femme. Puis, en deux mois sont décédées ma mère et ma grand-mère, les deux figures féminines importantes de ma vie. Ça a remué quelque chose en moi. J’ai finalement appris à m’aimer. Si je n’assume pas qui je suis maintenant, si je ne mords pas dans ma vie de femme à l’aube de mes 40 ans, je ne le ferai jamais. À 38 ans, je ne me suis jamais sentie aussi belle. Me voilà capable d’une telle couverture d’album."
Ce vent de changement a soufflé si fort sur la vie de Mara qu’il eut raison de sa relation avec l’homme derrière le bonheur des Nouvelles Lunes. Et dans la tourmente, inutile de résister, le typhon l’a vite propulsée dans les bras du musicien Antoine Gratton, son prince des temps modernes. Transparente, l’auteure-compositrice-interprète aborde cette remise en question dans la fragile Devant l’orage. "Je m’incline devant la force et le courage / Et pourtant je m’abandonne à l’orage / Je ne cesse de sentir tes yeux et ton sourire / Tu me hantes la nuit et le jour", chante-t-elle sur une simple trame de guitare acoustique. "J’étais seule dans ma cuisine. Les enfants étaient couchés et mon copain était absent. Je venais de rencontrer Antoine, et ça m’a frappée d’un coup. J’arrivais enfin à mettre des mots sur ce qui se passait dans ma tête. C’était comme si je venais de comprendre ce qui m’arrivait. J’ai enregistré la chanson sur-le-champ, avec le micro de mon ordinateur. On peut d’ailleurs entendre un orage en arrière-plan puisque ma porte était ouverte. J’ai envoyé la chanson à Antoine, et nos vies ont changé. La même version se retrouve sur l’album. Ça ne donnait rien de la réenregistrer, l’émotion et la magie étaient là."
FEMME DE RÊVES
Sans artifices, la pièce rappelle la fibre folk intimiste des Aurores, l’un des seuls parallèles musicaux possibles entre les efforts précédents de Mara Tremblay et Tu m’intimides. Gorgé de distorsions feutrées, de batteries groovantes (signées Pierre Fortin) et de sonorités oniriques aux accents psychédéliques (on imagine des hordes de claviers, mais ce sont plutôt les guitares acidulées du réalisateur Olivier Langevin), le compact permet à la chanteuse de surprendre, de se réinventer avec panache. "C’est le premier album que je compose majoritairement au piano, un vieux piano blanc que m’a donné mon père à son déménagement. Mon approche n’est pas la même qu’à la guitare, mes mélodies sont beaucoup plus hautes. En studio, je me suis assise derrière un Wurlitzer." On peut d’ailleurs constater le résultat dans Tu n’es pas libre, la plus belle chanson de Mara en 20 ans de carrière, la plus achevée. Céleste plutôt que nasillarde, sa voix flûtée se pose sur une série d’accords angéliques bien appuyés par une rythmique nerveuse, hypnotique.
Autre changement majeur, cette absence de violon qui caractérisait pourtant le répertoire de l’artiste. "À l’époque de mes premiers albums, c’était moins tendance, mais aujourd’hui, il y a du violon partout. Des tonnes de groupes misent sur des arrangements de cordes et ça m’énerve. J’ai fait une overdose de violon. Les gens beurrent épais et ça manque souvent de finesse. Je voulais aller ailleurs." Seule la pièce-titre laisse une place à l’instrument rouge vin, mais encore là, le passage n’a pas été composé par la violoniste, mais par Antoine, son Antoine.
Audacieuse, Mara Tremblay fait ainsi preuve d’un courage inhérent à cette nouvelle assurance féminine. Une détermination qui lui permet de se repositionner musicalement et de poser nue sur une pochette de disque. Une confiance semblable à celle requise pour avouer à l’autre qu’il nous intimide.
À écouter si vous aimez /
Charlotte Gainsbourg, Fred Fortin, Blonde Redhead