Oliver Jones : Pas fait pour la retraite
Le pianiste Oliver Jones est de retour au Festival Orford pour fêter ses 75 ans.
À quelques semaines de son 75e anniversaire, Oliver Jones se dit pétant de santé. Né le 11 septembre (hé oui!) 1934 dans le faubourg de Saint-Henri qui avait vu naître un autre pianiste prodige (son aîné et mentor Oscar Peterson), il n’escomptait pas parler un jour à titre de quasi-doyen de la communauté jazzistique montréalaise. "Je n’imaginais même pas que je tournerais, que j’enregistrerais encore à mon âge", me confie candidement celui qui avait annoncé son départ à la retraite il y a dix ans et qui est effectivement resté loin des feux de la rampe pendant près de cinq ans. "Oscar se moquait gentiment de moi; il me disait: comment peux-tu avoir pris ta retraite avant moi? D’après lui, les jazzmans ne renonçaient jamais."
LE MAL DU PAYS
Dès l’âge de neuf ans, le jeune élève de Daisy Peterson Sweeney (la soeur d’Oscar) se produit dans les boîtes de la nightlife métropolitaine. De formation classique, Oliver Jones s’intéresse par la force des choses à la chanson et au jazz (comme de nombreux contemporains, il fréquente jusqu’aux heures blêmes de la nuit les jam-sessions endiablées de la ville). Mais la campagne de répression orchestrée par le maire Jean Drapeau sonnera progressivement le glas de ce Montréal nocturne-là à partir de la fin des années 50. L’un après l’autre, les cabarets ferment leurs portes…
Engagé en 1964 par Kenny Hamilton, star jamaïcaine du calypso, l’enfant prodige de la Petite-Bourgogne s’exile vers Porto Rico. "Je travaillais comme directeur musical et coach vocal du groupe, un groupe merveilleux, avec lequel j’ai pu visiter des villes merveilleuses. C’était beaucoup de voyagements, mais une expérience formidable." Coach vocal? "Je n’ai jamais chanté sur disque, heureusement", rigole-t-il de bon coeur.
Même si le climat québécois ne lui manque pas, après une vingtaine d’années dans les Caraïbes, Jones rentre dans un Montréal fort différent de celui qu’il avait laissé. Le jazz? Connais pas. Ou presque. Heureusement, un vieil ami contrebassiste avec beaucoup de contacts lui propose de jouer dans une boîte qui porterait son patronyme: Biddle’s. "Je revenais à Montréal à une époque où ça recommençait un peu à bouger pour le jazz. Avec Charlie [Biddle] et Bernie [Primeau], on a formé le premier trio du club."
Trente ans plus tard, nonobstant les petits ennuis de santé, Jones est fébrile de jouer avec ses deux complices, qu’il a littéralement vus grandir: le docte contrebassiste Éric Lagacé et le fougueux Jim Doxas, étoile montante à la batterie. "Avec lui dans la vingtaine, Éric à l’aube de la cinquantaine et moi qui aurai bientôt atteint le big seven-five, ce sont trois générations qui se côtoient dans mon groupe."
Je ne veux pas insister sur cette question de l’âge d’Oliver Jones, mais puisqu’il a de nouveau entrouvert cette porte, je lui demande si cette collaboration transgénérationnelle ne serait pas une parfaite illustration du standard You Make Me Feel So Young. "C’est sûr que la musique me garde jeune", acquiesce le pianiste, avec nuance cependant. "Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir maintenir ce rythme. En même temps, je ne voudrais pas être là à traîner sans mener une vie productive." Décidément, c’est Oscar Peterson qui avait raison: les jazzmans ne sont pas faits pour la retraite.
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