Girl Talk : Le voleur de noces
L’homme derrière Girl Talk est un savant fou. Et sa démence contagieuse se répand sur les pistes de danse où, sous ses auspices, on célèbre d’impossibles mariages entre pop et avant-garde tout en redéfinissant le concept de droit d’auteur. Attention, risque de pandémie.
Le travail de Gregg Gillis alias Girl Talk relève du génie du recyclage. Au moins 10 fois par pièce, on est soufflé non seulement par sa maîtrise de la technique, mais surtout par son instinct, par sa capacité à choisir puis à isoler des centaines d’extraits de chansons pop archi-connues pour édifier une structure cohérente, homogène – et dansante! – à partir de cet étourdissant bric-à-brac.
"Pour Feed the Animals, mon dernier disque, j’ai travaillé avec 3000 échantillons sonores et je n’en ai utilisé que 300 sur l’album", expose Gillis depuis son domicile de Pittsburg, où il prend le soleil entre deux performances de laptop que l’on décrit comme explosives. "C’est un travail constant, poursuit-il. J’accumule tout le temps des extraits de chansons qui me plaisent, mais sur le coup, je sais rarement comment je vais les agencer. C’est un gigantesque casse-tête où les pièces prennent parfois des années avant de trouver leur place puisque je veux que les choses s’agencent parfaitement."
Le résultat est un mashup époustouflant où peuvent se côtoyer et se superposer Public Enemy, James Brown, Nirvana, Elton John et Notorious B.I.G. sur une seule pièce (en l’occurrence, Smash Head, tirée de l’album Night Ripper). Mais plus encore, la musique de Girl Talk va au-delà de la mixtape et de l’astucieux agencement musical. Ses chansons se révèlent d’authentiques créations, vivantes, ayant leur propre personnalité, conçues à partir de matériaux connus: une courtepointe sonore composée d’échantillons de plaisirs plus ou moins coupables remis au goût du jour. De Sinéad O’Connor à Avril Lavigne en passant par Jay-Z, 50 Cent, Ace of Base, Faith No More et Rihanna.
Lorsqu’on lui suggère que sa démarche ressemble à une tentative de réconciliation entre la candeur du DJ de mariage, l’esprit visionnaire du hip-hop et l’ironie de l’underground, Gillis éclate de rire. "Ce n’est pas volontaire… J’aime vraiment la musique populaire et j’ai envie que mes albums témoignent de la largeur du spectre de la pop. Je vais donc faire se côtoyer une chanson tout de même populaire, mais un peu plus obscure, avec une autre très connue. Le plus difficile, c’est de prendre un extrait d’un classique et de lui donner une toute nouvelle tournure, une nouvelle vie."
Des classiques de la musique que Gillis triture dans la plus flagrante illégalité, ce qui fait de lui une figure de proue du copyleft, un mouvement qui vise à libérer la musique du carcan légal du droit d’auteur (voir le documentaire RiP: A remix manifesto, dont Gillis est la vedette). Un peu embêté, le métallurgiste du palmarès top forty soupèse les conséquences de cette position dont il n’est pas certain de vouloir.
"Cela m’expose évidemment à des poursuites, mais en même temps, j’espère provoquer un dialogue, une véritable conversation avec des arguments valables entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre cette pratique."
Les tribunaux ne retiendront sans doute pas en sa faveur que Girl Talk prouve la validité du vieil adage qui veut que le talent emprunte, et que le génie vole.
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