Carl-Éric Hudon : L'amour au temps des ananas
Musique

Carl-Éric Hudon : L’amour au temps des ananas

Carl-Éric Hudon nous offrira sur scène une nouvelle version en trio de son dernier album Contre le tien – Ananas Bongo Love. L’occasion de découvrir à nouveau cette création intrigante qui s’est distinguée cette année.

Avec un titre aussi original, on est immédiatement curieux. Surtout qu’il est bien en évidence sur la pochette qui accompagne le dernier disque de Carl-Éric Hudon. Une pochette qui se compare à une jaquette de livre, comme celles de la collection Nouvelle Revue française chez Gallimard. Contre le tien – Ananas Bongo Love est un exercice de style bien défini, que l’auteur voulait libre de toute illustration secondaire. Citant au passage l’essai Du spirituel dans l’art de Vassily Kandinsky, Hudon a décidé que la musique peut se suffire à elle-même. C’est bien assez pour accompagner ses mots qui dépeignent des sentiments parfois opposés, des mots qui s’entrechoquent de manière aléatoire et qui sont soumis à l’instinct.

Si on pense pouvoir ranger Carl-Éric Hudon dans la catégorie des artistes folk aux propos directs, il faudra se raviser. L’artiste s’est renouvelé et casse définitivement cette image qui l’avait suivi, peut-être à tort, alors qu’on le voyait parfois aux côtés de Dany Placard. "Ce n’est qu’une impression, mais j’ai parfois le sentiment que j’ai peut-être perdu quelques défenseurs pour en gagner d’autres, indique-t-il. Cet album est encore récent, il a eu de bonnes critiques, mais je dois encore travailler fort pour aller chercher mon public. C’est peut-être un peu moins évident avec une production aussi aérienne. Je vois cet album comme quelque chose de fragile aussi. Je ne pourrais pas monter sur scène avec un gros show rock pour défendre ces chansons."

Hudon voulait dépeindre en musique un sentiment général et n’a pas voulu tomber dans le piège de l’autocontemplation. Il s’est laissé planer dans l’apesanteur d’une bulle créative que son collègue Jean-Philippe Fréchette, mieux connu sous son nom d’artiste Navet Confit, a collaboré à édifier avec lui.

"Je ne travaillerai sans doute pas de la même façon pour un prochain disque, mais pour celui-ci, j’ai développé un champ lexical avec lequel j’ai composé, précise-t-il. J’avais des lieux et des objets bien définis dans mon esprit. La chanson Quand on s’emmêle des fois dans l’herbe est un bon exemple. C’est la même phrase avec les mêmes mots qui sont utilisés différemment. Je voulais faire éclater la structure, afin d’avoir un résultat final qui ne soit pas trop rigide. Sinon, ça devient conceptuel et ennuyant. Tout de même, c’est un album personnel, on n’y échappe pas. Entre autres, j’ai pensé à l’un de mes amis qui a été tué par un chauffard ivre, il y a de ça plusieurs années. C’est un sentiment qui reste, mais tu n’es pas obligé de le décrire dans les moindres détails et d’en faire un récit autobiographique. Le but, c’était de mélanger tous ces faits et ces sentiments ensemble pour former une histoire déconstruite." Du matériel qu’on extrait de la cour à scrap des souvenirs. Un morceau après l’autre.

Les réflexions du jeune auteur-compositeur-interprète de 26 ans sur la forme ont déterminé une méthode de composition très originale. Les cellules rythmiques en sont le point de départ et donnent un caractère très singulier à la trame qui accompagne ses histoires évocatrices. "Je dois donner du crédit à Navet Confit pour ça. Je ne suis pas nécessairement quelqu’un de très rythmique. Il a fait toutes les batteries et la plupart des percussions. J’ai composé beaucoup de ces chansons à la basse. C’est très différent que de composer à la guitare. C’est note par note et c’est collé sur la rythmique. Aussi, je dirais que Dany Placard, qui est un grand fan de Tom Waits, m’a quelque peu influencé pour la recherche de certaines textures, comme dans la chanson Ananas Bongo Love, par exemple, qui intègre des percussions parfois imparfaites et étranges."

Qu’en est-il de la scène et de la seconde vie que prend ce disque devant un public parfois bigarré? "À l’époque, ça m’est arrivé de travestir mon spectacle pour correspondre à l’endroit où je jouais. Des places de party, ben rock. Tu es vulgaire et irrévérencieux, pis le monde aime ça. J’ai un exemple bien précis en tête d’un spectacle que j’ai donné à Joliette. J’y avais rencontré une fille qui s’était déplacée de Montréal pour venir entendre ce spectacle. Elle apprenait même à jouer de la guitare sur ma musique. Elle a été obligée d’attendre jusqu’à 23h30 avant que le show débute… Quand on a commencé à jouer, dans de telles circonstances, est-ce que j’ai besoin de te dire qu’elle a été déçue? Ceux qui étaient en face de la scène, je les ai gagnés, mais j’en ai sans doute perdu une…" Il vous gagnera maintenant un à un.

À écouter si vous aimez /
Navet Confit, Beirut et Émilie Proulx