Murray Head : Hasards et confidences
Musique

Murray Head : Hasards et confidences

Très influencé par son enfance, partagé entre deux cultures et deux métiers, Murray Head mène depuis 40 ans une carrière atypique qui n’est gérée que par le destin. Il sera sur scène le 10 août dans le cadre de l’International de montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Il aura fallu du temps, un peu de résignation et de fatalisme pour que Murray Head accepte de devoir fortune et gloire à un quasi-malentendu. Son Say It Ain’t So, Joe, le tube absolu de 1975 qui tourne encore ferme sur les radios, n’était pas une chanson d’amour braillarde mais un pamphlet politique sur la corruption des élus et, plus précisément, sur Richard Nixon et le scandale du Watergate.

Aujourd’hui, l’infâme hôtel décrépit de Washington vient tout juste de fermer ses portes pour des rénovations incertaines, Nixon s’en est remis jusque dans la mort au jugement dévastateur de l’histoire, et Murray Head, lui, s’en remet comme toujours… au destin: "Ils ont pris ma rage pour une chanson d’amour! J’ai fini par l’accepter. Le temps me montre que lorsqu’on accepte son destin, les choses se mettent en place beaucoup plus vite. Elles deviennent plus claires, plus raffinées", explique-t-il dans un français parfait, depuis sa résidence de Londres où il partage désormais son temps avec Paris et sa campagne du Béarn.

Il n’avait pas 30 ans mais déjà posé les fondations d’une vraie carrière: un premier disque, "incompris" dit-il, une saison à jouer Judas dans la version originale de Jesus Christ Superstar, un tournage avec John Schlesinger et Édouard Molinaro aux côtés de Philippe Noiret et Peter Finch… Mais là, au rythme où se vendait déjà Say It Ain’t So, Joe en France et au Canada, il y avait de quoi se péter solidement les bretelles! "Eh bien non, justement pas! Ça n’a pas changé grand-chose. J’étais trop écrasé par les critiques permanentes de ma famille, leurs ambitions, leurs opinions strictes sur mon éducation…" Sur les bancs du collège very British, même le nom baroque dont l’ont affublé ses parents le gêne et l’afflige: "Murray Seafield Saint-George Head! T’imagines la rigolade! Il m’a fallu partir en France pour pouvoir libérer une créativité que je ne pouvais pas exploiter en Angleterre."

DANS LA MÊME CASE QUE SOEUR SOURIRE

Jusqu’à 40 ans, le téléphone sonne lorsqu’il sort des plateaux de télé: c’est encore sa comédienne de mère qui lui prodigue des conseils sur la façon de se comporter en entrevue. Il vend des millions; elle lui suggère de prendre des cours de chant. De quoi s’accrocher à la France et ne pas remettre les pieds en Angleterre pour longtemps: "De plus, comme ca marchait bien pour moi en France, la critique anglaise jugeait ma musique mainstream et me foutait dans la même case que Soeur Sourire, Sacha Distel et Plastic Bertrand."

La décennie suivante est marquée par six albums solo, tous certifiés or, tandis qu’il construit une filmographie de seconds rôles soigneusement choisis. Choisis? "Je dis oui à presque tout. Tant mieux si on me propose des choses de bon goût. Qui de nos jours peut aspirer à la retraite? Je me contente de travailler. Je vais là où l’on veut bien de moi." On veut de lui ici. Son ambivalence entre deux vieilles cultures européennes et deux langues le rapproche depuis longtemps du Québec: "C’est quand même l’endroit où cette synthèse fonctionne le mieux. Un endroit où l’on écrit en deux langues sur un tube de dentifrice, je trouve ça fabuleux! C’est un bonus! Mais évidemment, c’est parfois difficile de partager cette opinion chez vous…"

Ses disques ne cartonnent plus comme avant. Et peut-être percevons-nous dans sa voix une certaine amertume lorsqu’il parle de l’industrie de la musique, des droits de chansons qu’il a jadis vendus pour des clopinettes: "C’est gouverné par la rapacité, le corporatisme, la bêtise et la facilité!" Mais à 63 ans, il tourne encore à satiété dans des lieux ravissants: Saint-Paul-de-Vence, Venise, Charleville-Mézières… Il y côtoie les fantômes de Chagall, Lurçat et Rimbaud, l’explique strictement par le hasard, disant qu’il y a dans ces endroits "de bien belles salles bien organisées".

S’il vit encore des conflits d’horaires entre le cinéma, la télé et la musique, il veut ralentir: "Je passe de plus en plus de temps à la campagne. J’ai décidé de mourir là-bas. Je vais bouger un peu moins, m’occuper de la famille et cultiver sur ma terre ce que je vais manger."

En 2007, il a fait pour la première fois un disque tout en français, intitulé Rien n’est écrit. Il y affiche encore son obsession pour une mystique du destin dont il tente de déchiffrer les arcanes. "Y a plus de place pour le hasard ici-bas. Nous sommes des générations surprotégées qui ont voulu maîtriser leurs existences. Tout est contrôlé. Ça ne respire pas."