Vincent Vallières : La sérénité de l’engagement
Sur son cinquième album, Vincent Vallières laisse ses habituels personnages de côté pour livrer un message d’espoir plus personnel. Rencontre avec une anti-star.
Le lien était facile, la filiation, évidente. Café Lézard de Vincent Vallières a tant tourné à la radio qu’on a fini par associer l’auteur-compositeur-interprète à l’arrondissement Rosemont, comme s’il était devenu indissociable de l’ancien quartier ouvrier. Machinalement, on s’attendait à le rencontrer au Lézard, comme ce fut le cas il y a trois ans, quasi jour pour jour, lors du lancement de son dernier album, Le Repère tranquille. Nous avions tout faux.
Lundi matin de smog sur la grande ville, Vincent est attablé dans un café du Plateau-Mont-Royal. "Ça te surprend? Je pensais t’inviter au Café Lézard comme dans le bon vieux temps, mais de toute façon, je ne reste plus dans Rosemont. J’ai déménagé. J’avais envie de me rapprocher de la nature, de faire plus de sport. Avec les kids, on avait besoin d’espace, ma blonde et moi. On s’est acheté une maison à Magog. Je voulais aussi écrire un album en dehors de la ville."
ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ
Intitulé Le monde tourne fort, le compact atterrira dans les bacs le 1er septembre, et on n’y retrouve aucune chanson sur l’ambiance des brûleries des Cantons de l’Est. "Si Magog se fait sentir sur le disque, c’est dans le thème de l’espace qui y est récurrent. Le rapport à l’espace change beaucoup lorsqu’on s’éloigne de la ville. Mon rapport au temps aussi. L’énergie y est différente. Même quand mes amis viennent me voir, les soirées ne sont plus les mêmes."
Le fantôme de ses trois enfants plane également au-dessus du disque. Une note signée de la main de Vincent ouvre d’ailleurs le livret de l’album. "La quête de l’enfance, ce voyage à mi-chemin entre l’imaginaire et la réalité, n’est-elle pas la même que nous poursuivons toute notre vie durant", s’interroge le gaucher.
"Quand j’étais jeune, mes idoles étaient des gens qui ne vieillissaient pas comme tout le monde, qui ne vivaient pas comme tout le monde. Des gens libres qu’on a idéalisés parce qu’ils n’avaient pas mis leurs rêves de côté. Les enfants sont un peu comme ça. Leur vie est à mi-chemin entre le rêve et la réalité. Tu leur donnes un verre vide et ils peuvent t’inventer des tonnes d’histoires avec ça. Il ne faut jamais perdre cette magie-là. Même si la vie va mal et que l’économie tourne au ralenti, il faut continuer à vivre et ne pas se priver. Quand j’ai compris ça, tout est devenu plus clair."
C’est la clé du succès de Vincent Vallières. Sans jouer la carte du musicien avant-gardiste cherchant à repousser les limites du folk-rock – "là-dessus, j’ai fait mon deuil, je m’en crisse de ne pas être à la mode, je veux juste écrire les meilleures chansons possible" -, le compositeur tricote une oeuvre sereine à partir de son quotidien. "Je ne suis pas là pour vendre une idylle. Je pense simplement que j’arrive à m’épanouir dans une vie de famille tout en ayant eu pour modèle des gars comme Cash, Dylan ou Kerouac, des gens profondément libres et souvent sans attaches. Ça revient au concept de l’engagement. Peu importe ton chemin, peu importe dans quoi tu t’engages, si tu fais les choses comme tu le sens, tu passeras toujours au travers des irritants. Mais je ne dis pas que c’est simple. C’est plus le fun de penser à quelque chose que de te botter le derrière pour le réaliser."
Cet optimisme teinte de nombreux textes de Le monde tourne fort. La pièce-titre, En attendant le soleil, L’Amour au coin de la rue, Sortir du bois et L’École est finie mettent tous en scène un protagoniste aux prises avec sa part de doutes et d’adversités. Toujours, il encaisse les coups et trouve un espoir auquel s’accrocher. Ça peut être l’amour, l’attrait de la route, une simple guitare ou des projets d’avenir. "Se projeter dans le futur équivaut à un baume sur les plaies de la vie. J’ai des amis qui me parlent de leur projet de vacances. Je connais des couples qui après seulement six mois de fréquentation s’amusent à chercher le nom de leur premier enfant, même s’il n’y a toujours pas eu conception. C’est une façon de s’évader. On vit une crise économique; le milieu du disque se demande comment vendre la musique; j’ai des amis qui ont perdu leur job… Je ne voulais pas ne chanter que la peine. Je voulais aussi chanter l’espoir."
LA TOUCHE LANGEVIN
Ainsi, même si le quotidien de Vincent Vallières peut paraître banal (une vie rangée loin de la dope, du star-system ou des photos XXX sur Internet), il est livré avec une telle sincérité qu’il devient touchant. Pas étonnant que l’artiste ait vendu plus de 25 000 exemplaires de Chacun dans son espace et plus de 33 000 du Repère tranquille. Que l’on soit Gaspésien, Trifluvien ou Montréalais, on peut se reconnaître dans son oeuvre. À la limite, son folk-rock possède la même force rassembleuse que celui de plusieurs groupes pop régionaux, mais il se décline avec plus de raffinement, d’originalité.
Vincent Vallières ne sera peut-être jamais dans l’oeil de la hype, mais ça ne l’empêche pas d’obtenir tout le succès critique mérité. Après trois albums réalisés par Éric Goulet, il a cette fois fait appel à Olivier Langevin pour l’aiguiller sur Le monde tourne fort. Une manière de changer l’ambiance en studio. "Généralement, les gens le voient comme un guitare héros, mais je pense qu’il est beaucoup plus que ça. Je le perçois comme un pur-sang qui ne s’est jamais embourgeoisé avec le temps. C’est un travaillant, quelqu’un de très honnête. Il n’y a pas de complaisance avec lui. Quand il n’aime pas, tu le sais. Et je me méfie du grand luxe des studios d’enregistrement. Langevin partage cette philosophie de travail."
Subtile et en accord avec l’univers de Vallières, la réalisation d’Olivier Langevin joue de finesse. Le guitariste n’y multiplie pas les solos abrasifs. Ses arrangements de six cordes servent plutôt l’atmosphère feutrée des compositions. Il leur donne juste assez d’énergie pour les pimenter avec classe (Entre partout et nulle part, Le temps est long), ou juste assez de texture pour approfondir leur caractère introspectif (Table tournante, L’Espace qui reste et la superbe On va s’aimer encore). "J’avais envie d’un disque qui garderait l’oeil du tigre. Un album qui a soif, qui a faim. Mon but n’était pas de faire un virage musical à 180 degrés. C’était juste de trouver une autre façon de driver mes chansons et mes musiciens (le guitariste André Papanicolaou, le bassiste Michel-Olivier Gasse et le batteur Simon Blouin)."
"La présence d’Olivier m’a aussi réconforté lors de questionnements. Par exemple, sur Sortir du bois, je chante que "je crois très fort en moi". C’est weird, ça. T’entends pas ça souvent dans une chanson, mais c’est ce que j’avais en moi. L’approbation de Langevin me rassurait. Même chose avec le concept de l’amour. Je trouvais ça tellement cliché que le mot ne figurait même pas sur mon premier disque. Or, je l’ai abondamment utilisé cette fois. Je crois que pour grandir comme auteur, je dois mettre un peu de moi dans mes textes. Et ce n’est pas évident. C’est facile de tomber dans le journal intime cheap, mais pour que les tounes m’appartiennent, je dois les investir."
Voilà pourquoi on en redemande, parce que dans un monde de parure, Vincent Vallières sonne vrai.
Vincent Vallières
Le monde tourne fort
(Spectra/Select)
En magasin le 1er septembre
À écouter si vous aimer /
Michel Rivard, Bob Dylan, Mara Tremblay
L’AUTRE SAINT-JEAN
Tout comme Malajube, Marie-Pierre Arthur et Les Dales Hawerchuk, Vincent Vallières a accepté de se produire lors de l’Autre Saint-Jean aux côtés de Lake of Stew et Bloodshot Bill en juin dernier. Mais avant même de statuer sur le fait que les artistes anglophones ont leur place dans la célébration de notre fête nationale, le musicien déplore le débat surmédiatisé qui a précédé l’événement. "Pour être franc, j’ai dit oui à l’Autre Saint-Jean avant même de savoir que des anglophones seraient de la partie. J’étais fier de jouer avec Lake of Stew et Bloodshot Bill, mais j’ai surtout trouvé que l’histoire avait pris des proportions bien trop grandes. J’imagine que la nouvelle est tombée dans un creux. Les médias en ont fait leurs choux gras. Je ne nie pas l’importance du débat, mais je suis écoeuré d’entendre le point de vue de tout le monde. C’est rendu que tu as le lecteur de nouvelles et le gars qui donne son opinion juste à côté. Ça manque souvent de nuance. J’ai-tu le droit de me forger ma propre opinion? Pis des fois, ça se peut même que j’en pense rien. J’ai-tu le droit?"