CocoRosie : Les petites fées psychédéliques
Musique

CocoRosie : Les petites fées psychédéliques

Lors de leur dernière visite nord-américaine, les soeurs CocoRosie n’avaient pu franchir la frontière canadienne pour une plate histoire de paperasse. Rendez-vous remis: elles ramènent leurs musiques mutantes fusionnant chant opératique, jouets d’enfants, hip-hop déglingué et textes ahurissants.

L’HISTOIRE

Bianca (aka Coco pour sa maman) jouait les mannequins à New York et avait un faible pour le hip-hop, la poésie et la lingerie tandis que sa soeur Sierra, alias Rosie, foxait ses cours d’opéra à Paris. Deux filles complètement différentes qu’un océan séparait… Jusqu’à ce que Bianca décide, sur un coup de tête, d’aller rejoindre sa soeur en France.

Cette dernière venait d’abandonner le Conservatoire. Passionnée de musique gospel et de chant spirituel, la soprano avait manifesté le désir d’aller au-delà de son rôle d’interprète; peine perdue, ce n’était pas l’endroit. Si bien que Rosie avait claqué la porte et était allée tout de go se réfugier dans son appartement coquet de Montmartre jusqu’à ce qu’un jour… Toc! Toc! Toc! "C’est ta soeur Coco."

On croirait l’incipit d’un conte de fées, non?

Installées sur la butte, les soeurs ont longuement échangé, jusqu’à parler un langage commun: la musique. Un premier album intitulé La Maison de mon rêve, enregistré dans la salle de bain pour l’acoustique, a été lancé en 2004. "Pour moi, ça a été un véritable apprentissage et une révélation. Contrairement à Sierra, la musique ne faisait pas partie de ma vie. Il y a eu un dévoilement de toutes ces chansons que j’avais à l’intérieur", se rappelle Bianca.

LE MYSTÈRE

Gracile, ténu et intimiste, cet album-cocon annonçait plus ou moins la suite: Noah’s Ark (2005) sur lequel le fascinant Antony Hegarty, grand ami des soeurs Casady, est venu poser sa voix. Les paroles étranges et glauques demeuraient, les envolées lyriques de Sierra, les cris d’animaux produits par des jouets pour enfants aussi, mais l’univers patraque et lo-fi des débuts avait évolué vers une facture plus mélancolique. Avec le temps, et de façon inattendue, les fées maléfiques ont intégré des éléments de hip-hop, une direction qui culmine sur Rainbowarriors, pièce d’ouverture de The Adventures of Ghosthorse and Stillborn (2007), troisième opus.

Au printemps 2008, CocoRosie a lancé l’excellent single God Has a Voice, She Speaks Through Me, disponible sur vinyle et sur iTunes (on peut aussi l’entendre sur le MySpace du groupe), s’amusant avec l’auto-tune et poursuivant dans le travestissement des codes du hip-hop. Un EP (Coconuts, Plenty of Junk Food) a été vendu dans les spectacles de la tournée européenne, mais il ne le sera malheureusement pas ici.

"La parution de notre prochain album complet est prévue pour mars 2010. Les chansons semblent provenir d’une autre époque. On pourrait croire qu’elles ont été écrites il y a des milliers d’années, dans un monde magique où les éléments régnaient en maîtres, avant l’arrivée de l’humain. L’atmosphère est sombre, pas dans le sens d’épeurant, mais de sérieux. On continue d’intégrer des beats de hip-hop et de privilégier ce genre de production, mais vu notre volonté de mettre en avant quelque chose d’ancien, on s’est dirigées vers une facture plus acoustique. Les extrêmes cohabitent."

"Les extrêmes cohabitent." Trois petits mots lancés en l’air, mais qui résument une bonne part de la démarche singulière de CocoRosie et expliquent en partie pourquoi les gens adorent ou ne peuvent supporter leur musique. Dans leurs shows, il n’est pas rare qu’un spectateur nauséeux sorte avant la fin. Dans un cas comme dans l’autre, la réaction est immédiate et émotive. Coco est au courant.

LA CLÉ

Parallèlement à sa vie de sex-symbol du freak folk, Bianca Casady a aussi une pratique artistique et expose ses oeuvres dans différentes galeries européennes. Des installations qui sont un véritable écho à la musique et au style vestimentaire des soeurs CocoRosie (allez jeter un coup d’oeil au biancacasady.com).

En arts visuels comme en musique, Coco évolue suivant cette logique: tu prends ce que tu trouves laid, à en avoir presque mal, et tu additionnes. D’où le look ahurissant des filles, les paroles cryptées du duo, les dessins et les installations "malaisantes" de Bianca: des accumulations de dauphins, de petites pouliches, de dreamcatchers évoluant de façon tout à fait improbable avec des croix catholiques ou gammées et des étoiles de David. "Je permets à ces symboles chargés d’entamer un dialogue sur un terrain neutre et ouvert; cela n’est pas possible dans la vie de tous les jours et dans les autres médias. Pour moi, l’artiste a la responsabilité d’utiliser sa liberté à bon escient", précise celle qui, dans la vidéo de God Has a Voice…, danse avec un hijab qui s’arrête aux épaules et laisse voir sa poitrine recouverte par de longs cheveux, style La Naissance de Vénus de Botticelli. Un clip magnifiquement psychédélique qui étourdit par sa surenchère de licornes, de femmes voilées, de pierres précieuses, de coloris agressants et de feux d’artifice.

Les textes de CocoRosie aussi sont déstabilisants. À ce sujet, la réponse fournie par Bianca ressemble à celle que nous a déjà déballée son ami Antony, un artiste condamné à tenter de réconcilier la femme et l’homme en lui: "Une des raisons pour lesquelles j’écris autant, des poèmes comme des chansons, c’est pour la métamorphose que cela rend possible. L’écriture automatique permet à ton subconscient d’être révélé. Tu peux sortir de toi, en quelque sorte, et étudier ton éducation pour ensuite tenter de t’en libérer. Il y a beaucoup de ça dans notre musique, des commentaires sur la religion, les races, les genres sexués. Il est essentiel, à mon avis, d’écrire à la première personne pour explorer ces voix taboues. Ensuite on peut avoir un meilleur contrôle sur les choses…"

"Désolée de cette réponse aussi cérébrale et ennuyante, s’excuse Bianca. En mode, c’est plus le fun de jouer avec ça. Te mettre dans la peau de différents personnages à travers des outfits qui ne t’attirent pas à première vue te fait glisser dans une situation inconfortable. Mais c’est là que la transformation peut advenir. À travers de telles explorations, tu découvres de nouvelles facettes de ta personnalité. C’est ainsi que CocoRosie investit l’art et la musique: dans le but d’une exploration personnelle continue."

À écouter si vous aimez /
Devendra Banhart, Joanna Newsom, Lykke Li