Champion : À la défense du titre
Musique

Champion : À la défense du titre

Cinq ans après le succès international de Chill’em All, Maxime Morin remonte dans l’arène pour défendre sa ceinture de Champion. Un retour plus difficile qu’il ne l’avait imaginé.

Le message derrière le premier extrait de Resistance, le nouvel album de DJ Champion, est livré sans aucune ambiguïté. Chanson au titre annonciateur, Alive Again révèle une dégaine résolument plus rock. Le DJ a même troqué sa traditionnelle veste de cuir orange aux lignes bleues contre une noire, plus rebelle. Ses cheveux ont allongé, et Maxime Morin ressemble davantage à un membre des Strokes qu’à l’artiste rock-techno découvert par le grand public en 2006, année où lui et ses G-Strings (quatre guitaristes et un bassiste) ont joué 12 soirs au Métropolis, battant ainsi le record de Jean Leloup pour le plus grand nombre de concerts donnés dans la grande salle montréalaise la même année.

LE REJET D’UNE MODE

La dernière fois que Champion arborait une telle chevelure, c’était au début de la décennie 90, juste après l’explosion Nirvana. "À l’époque, j’étais guitariste rock, se souvient le musicien. J’ai tout laissé tomber lorsque j’ai réalisé qu’un paquet de rockeurs grunge calculaient à fond leur look pour avoir l’air délabrés. J’ai senti une odeur de faux qui m’a complètement répugné. Ce jour-là, je me suis coupé les cheveux, je les ai teints en bleu et j’ai plongé tête première dans la musique électronique. C’était magnifique. J’étais devenu Mad Max, un DJ caché dans l’obscurité s’adressant à un public prêt à danser même s’il ne reconnaît pas les chansons. Les gens étaient là pour triper, pas pour se montrer."

Cette même répulsion sentie pour le rock, Maxime l’a vécue à l’égard de la scène électro quelques années plus tard, lorsque la musique techno s’est divisée en sous-branches (minimal, hard, transe, drum & bass, hardcore). Devant des puristes fermés d’esprit et divisés en petits groupes, Mad Max a préféré tirer sa révérence.

Après un passage dans le milieu de la pub et du cinéma, où il travaillait sur des jingles et des trames sonores (dont celle des Triplettes de Belleville de Ben Charest), le bidouilleur est réapparu sous un sobriquet frondeur en 2004 avec l’album Chill’em All, vendu à plus de 100 000 exemplaires au pays. Au son de No Heaven, Keep on et Two Hoboes, ressuscitait toute la pureté naïve de la fête. Cette fameuse série de concerts au Métropolis est vite devenue le rendez-vous improbable des amateurs de musique électro branchés, des banlieusards et des plateausards. "C’est ce que j’aimais du projet. Il n’y avait pas de public cible. T’aimes la musique électro, t’aimes le rock, t’aimes danser, alors t’es invité à la fête. Pendant quatre ans, j’ai été le cool DJ Champion que tout le monde aime. Je ne prenais plus de risques. J’allais bien, j’étais au-dessus de tout. C’est quand j’ai arrêté pour composer le deuxième disque que j’ai frappé un mur."

LEÇON D’HUMILITE

C’était à l’automne 2007, trois ans après le lancement de Chill’em All. Après des concerts aux quatre coins de la planète, Maxime mettait le cap vers son studio maison. "Les six premiers mois se sont très bien déroulés. J’étais pas trop anxieux. Je faisais la suite de Chill’em All sans me poser de questions. Mais à un certain point, j’ai réalisé que je n’avais pas de fun. Je préparais une simple suite banale. Je crois surtout que ça faisait mal à mon orgueil de DJ. Par définition, un disc-jockey est en quête de modernité. Il veut "kicker" le cul de ses auditeurs avec des chansons inconnues. Et là, j’écoutais Justice, M.I.A. et Ratatat en me disant que j’amenais rien de neuf. Même qu’à un certain moment, j’ai dû arrêter d’écouter Ratatat parce que ça devenait une trop grande influence. Pour la sortir de mon cerveau, j’ai composé quatre ou cinq chansons copier/coller de Ratatat que j’ai jetées. Il fallait que j’aille au bout du trip, juste pour le sortir de mon corps."

Ayant en tête de faire concurrence aux autres artistes phares de la scène électro, le compositeur est entré dans une période d’anxiété aiguë. "Du moment où je me suis comparé à ce qui se faisait ailleurs, j’ai réalisé que je n’étais pas si bon que ça. Je venais de recevoir une claque au visage. J’ai "flushé" tout ce que j’avais fait lors des six premiers mois et je me suis demandé qui j’étais, où je devais aller. Ça explique pourquoi la sortie de l’album a été souvent repoussée. Prendre deux ans pour composer un disque, c’est une occasion incroyable de grandir en tant qu’humain. T’as la chance de prendre des risques et d’avancer en te redéfinissant."

Pour sortir de sa zone de confort, Champion a commencé par jouer avec de nouvelles sonorités. Même celles qu’il détestait depuis toujours, comme cette distorsion rasoir utilisée par Nine Inch Nails et Revolting Cocks au début de l’ère techno industrielle. "Il fallait me déstabiliser. Je me disais que si j’arrivais à quelque chose de bien avec un son que je haïssais, j’aurais fait un bon pas en avant." De cette exploration sont nées Clear Beach, la pièce-titre du compact et l’extrait Alive Again. "C’est pour ça, les cheveux longs. C’était une manière de tuer le DJ Champion de Chill’em All. Tuer son égo." S’il présente des chansons plus rock que celles du précédent effort, Resistance offre aussi des morceaux plus introspectifs. Au lieu de s’imbriquer les unes dans les autres pour donner des crescendos et des contrepoints parfaits produisant une tension propre à la musique techno, différentes pistes de guitares s’unissent parfois pour créer des atmosphères planantes (Plastiques et Métaux, L6 [The Blooded], The Monster).

À CHACUN SON ETOILE

Durant tout ce processus, Champion a aussi dû négocier avec un problème de taille: l’absence de la chanteuse Betty Bonifassi entendue sur Chill’em All, sans doute l’une des plus belles voix du Québec. Elle avait déserté les G-Strings peu de temps avant la fin de la tournée. Marie-Christine Depestre l’avait remplacée. "C’est clair qu’il y a eu des querelles entre Betty et moi, et oui, c’est une très grosse perte pour le groupe, mais je crois que la perte aurait été pire si j’avais décidé de m’éclipser pour lui laisser le plancher."

En discutant avec Maxime, on comprend que le départ de Betty était inévitable. Le conflit impliquait une chanteuse à la recherche d’une émancipation artistique légitime – ce que lui permet maintenant le groupe Beast – et l’architecte du projet sur qui repose toute la pression du succès. "J’ai une tête de cochon et j’ai travaillé comme un malade pour accoucher de ce disque-là. Je suis incapable de donner les clés de mes chansons. Malgré toute l’admiration que j’ai pour Betty, j’étais trop investi dans le projet pour lui en donner le contrôle."

Même si Jeanbart d’Omnikrom fait une apparition dans So Big, la voix retenue pour la majorité des pièces de Resistance est celle de Pierre-Philippe "Pilou" Côté (aperçu avec Mimosa, Ariane Moffatt, Elektrik Bones et lors des joutes de la Ligue d’improvisation musicale de Montréal). Champion a écrit la plupart des textes. À ce sujet, il précise qu’il a étudié l’oeuvre de J.J. Cale pour comprendre comment écrire des paroles. "J’ai aussi appris à bien connaître Pilou pour lui écrire des textes qui collaient bien à sa personnalité."

Sans nous faire oublier Betty, Pierre-Philippe Côté s’acquitte bien de la tâche. Il ne manque ni de soul, ni d’attitude rock. À le voir tenir son micro tel un Mick Jagger dans le vidéoclip d’Alive Again, on devine toute l’énergie qu’il déploiera sur scène, encore le meilleur endroit pour s’imbiber des riffs décapants des G-Strings et des rythmes techno du Champion. Retour sur les planches: cet automne.

Champion
Resistance
(Saboteur)
En magasin le 15 septembre

À écouter si vous aimez /
Justice, Black Sabbath, Rinôçérôse