Elisapie Isaac : Étoile polaire
Musique

Elisapie Isaac : Étoile polaire

Deux ans après la fin de Taima, la chanteuse Elisapie Isaac refait surface avec un premier album folk-pop prometteur qui, sous sa légèreté apparente, cache une quête fort personnelle.

À 32 ans, Elisapie Isaac est une femme libre et souhaite le crier sur toutes les scènes. Non pas que sa collaboration avec Alain Auger au sein de Taima l’étouffait, au contraire. C’est lors de cette première incursion musicale amorcée en 2001 que la chanteuse montréalaise d’origine inuite a appris à se faire confiance, à s’affirmer. Lancé le 22 septembre, son premier album solo intitulé There Will Be Stars est l’aboutissement de cette quête d’estime.

Timide lors de ses premières entrevues, Elisapie affiche aujourd’hui une toute nouvelle assurance. "En plus de m’apprendre à socialiser, Taima m’a fait réaliser que je pouvais gagner ma vie en jouant de la musique, ce qui m’apparaissait complètement fou au départ." Rappelons que Taima voguait allègrement sur les rails du succès grâce à son unique disque s’étant mérité le Juno de l’album autochtone en 2005. Outre le Canada anglais, l’Europe faisait également de l’oeil au duo qui a pris une pause en 2007 pour ne jamais réapparaître sur le radar. "Nous étions à l’étape de la composition du deuxième album, mais le plaisir n’était pas au rendez-vous. Alain et moi n’étions pas en chicane, mais après cinq ans de tournée et de collaboration, notre relation avait changé. Et puisque le plaisir manquait, nous ne voulions pas forcer les choses et produire un album qui ne soit pas sincère. Nous étions deux personnes très autonomes, et le désir de s’exprimer chacun à sa façon était devenu trop fort."

CHOC CULTUREL

Alors qu’Alain donne naissance au projet Cozmo, pour Elisapie s’amorce rapidement la composition de There Will Be Stars, un album pop-folk aux arrangements feutrés qui contraste avec l’univers sombre et introspectif de Taima. Réalisé par Éloi Painchaud, le compact relevé d’arrangements de cordes signés Antoine Gratton dégage une chaleur soul 70’s accessible. "Plonger dans un registre plus lumineux m’a fait le plus grand bien. Ces dernières années, j’ai écouté énormément de musique, récente et plus vieille. Par exemple, j’ai décidé de complètement assumer mon amour pour The Cars, ABBA et Fleetwood Mac, des disques qui me rappellent mon enfance."

Si ces groupes évoquent des souvenirs heureux chez Elisapie, c’est qu’ils correspondent à une période marquante pour le peuple inuit, une ère d’éveil culturel. "Ils ont été introduits au Nunavik dans les années 70 par les premiers jeunes qui descendaient vers le sud pour aller à l’école secondaire de Churchill dans la Baie d’Hudson. À leur retour, ils étaient complètement transformés. Ils arboraient le look peace & love, jouaient de la guitare acoustique et rapportaient tous ces albums avec eux. Au milieu de la communauté ancrée dans la tradition, le choc était marquant. Mon oncle appartient à cette génération. J’associe aujourd’hui cette musique à quelque chose de joyeux, de très positif."

Outre cet emprunt au passé, l’album s’inscrit aussi dans une modernité par sa candeur et sa légèreté qui n’est pas sans rappeler l’oeuvre de la Canadienne Feist, un modèle d’émancipation pour la musicienne. La ressemblance frappe sur le premier extrait, Turn My Back. "Feist ouvre présentement la voie à une toute nouvelle vague de chanteuses qui nous amènent à voir la pop féminine d’une autre manière. Elle a de la classe, de la gueule et n’essaie pas d’être la traditionnelle pitoune pop. Il y a un côté très indépendant dans son travail. Elle n’a besoin de personne pour avoir du plaisir. Elle propose une dignité qui va au-delà de la mode. Pour longtemps, nous allons considérer Feist comme une néo-queen qui a fait évoluer la musique chez la femme."

MOI, ELISAPIE

Dans la foulée, cette quête d’affirmation amène la belle à chanter des textes qu’elle n’aurait jamais osé interpréter; comme si ses racines inuites l’amenaient jadis à se censurer de peur de froisser ses semblables. Inuk aborde le suicide au sein d’un peuple fort et fier. Écrite par Richard Desjardins, sur une musique de Pierre Lapointe, Moi, Elsie raconte sans pudeur l’amour d’une femme inuite pour un homme blanc. Wish Song encourage même les femmes de sa communauté à prendre le temps de vivre. "Chez les Inuits, on demande très vite aux femmes d’être responsables et autonomes. Wish Song leur dit de profiter de la vie, de l’apprécier et de ne pas en mettre trop sur leurs épaules. Je sais que ces propos en choqueront quelques-uns, mais j’ai le droit de les tenir, et je suis fière de le faire."

Pas de doute, les carcans font manifestement place aux étoiles au pays d’Elisapie.

Elisapie Isaac
There Will Be Stars
(Véga/DEP)
En magasin le 22 septembre

À écouter si vous aimez /
Feist, Cat Power, Carla Bruni