Harry Manx : Zen et blues
Fidèle au rythme de production qu’il maintient depuis son émergence sur la scène, Harry Manx, le plus zen des bluesmen occidentaux, est de retour avec un neuvième album en neuf ans: Bread and Buddha.
Dès le premier abord, je remarque quelque chose de très zen chez Harry Manx, quelque chose qui évoque Shawn Philips. Un sourire engageant sur les lèvres, le bonhomme s’excuse de ne pouvoir répondre à mes questions dans la langue de Molière. "Je pourrais toujours faire un effort, mais ça me prendrait pas mal plus de temps", précise-t-il, ironique.
Et qui pourrait dire lequel de nous deux est le plus pressé par le temps? Peut-être ces douze années passées au pays de Gandhi ont-elles appris à Harry Manx quelque chose sur notre rapport au temps qui échappe encore à la plupart des Occidentaux. Mais sans doute faut-il rappeler à quel point cet auteur-compositeur-interprète est un être d’exception: né sur une île au large de la Grande-Bretagne, Manx a vécu à Toronto, en Europe, au Japon et en Inde, avant de finalement s’établir en Colombie-Britannique avec sa femme brésilienne; et ce n’est qu’à l’âge de 46 ans qu’il émerge sur la scène musicale canadienne, avec en bandoulière son exotique mohan veena, une manière de guitare-sitar à 20 cordes, qui confère à ses disques leur son si particulier. "Rien ne me prédestinait à faire du blues, avoue-t-il candidement. J’ai commencé à tâter de la guitare après avoir bossé comme roadie pour des bluesmen de passage à Toronto, juste pour voir si j’en étais capable."
Harry Manx nous a habitués à des titres qui évoquent volontiers le métissage culturel dont il est le fier représentant; on pense à Road Ragas ou Mantras for Madmen. Et même si Bread and Buddha (joli calembour!) apparaît comme le moins exotique des albums de Harry Manx, la fusion entre les blues du terroir et les musiques traditionnelles indiennes demeure la marque de commerce du bluesman. "La musique indienne fait partie de mon approche, colore tout ce que je fais. Ce n’est peut-être pas le mariage le plus évident", concède celui qui a tout de même utilisé sa mohan veena sur Love Is the Fire, une chanson pop-rock qui à l’origine était une sorte d’hymne sur l’amour divin écrite par un ami indien. "Mais il est vrai que, comme vous dites, il y a des points communs entre la spiritualité profonde du blues, né de la misère des esclaves américains, et les musiques traditionnelles de l’Inde."
À propos de la scène, où il se sent en réelle communion avec ses fans, Harry Manx reconnaît volontiers ceci: "il y a une magie spéciale qui intervient entre les auditeurs et moi pendant un concert. […] Mon but, c’est d’entraîner le public plus loin au coeur de la musique." Et au coeur de lui-même, aurait-on envie d’ajouter, tellement la musique de Manx nous semble propice autant au voyage intérieur qu’à la dérive en territoire exotique. Ce en quoi ce nouveau titre, Bread and Buddha, qui renvoie autant aux nourritures terrestres que spirituelles, nous semble tellement bien trouvé.
Harry Manx
Bread and Buddha
(Dog My Cat Records/SRI)
À écouter si vous aimez /
Kelly Joe Philips, Ry Cooder, Vishwa Mohan Bh