Yann Perreau : La bravoure de l'équilibriste
Musique

Yann Perreau : La bravoure de l’équilibriste

Yann Perreau, reptile au sang chaud, débarque à Shawinigan pour nous présenter les pièces de son troisième album.

Un serpent sous les fleurs. Voilà qui image parfaitement le parti pris de ce nouvel album de Yann Perreau qui fait ici, plus que jamais, le pari risqué de la finesse, du coeur et de l’intelligence. Cela, sous le voile d’une musique brillamment usinée qui défie les étiquettes.

Un pari risqué, disions-nous, parce que la finesse peut passer pour de la suffisance, le coeur pour du racolage et l’intelligence pour du mépris. Une première écoute balaie cependant vite les doutes: Perreau ne jette pas de la poudre aux yeux, mais signe plutôt ici, avec son comparse Alex McMahon, son oeuvre la plus achevée. L’aboutissement du parcours entrepris avec Western Romance (2002), et surtout avec Nucléaire (2005).

Un aboutissement? Disons plutôt un raffinement de cette volonté affirmée de demeurer à cheval sur la frontière des genres, sans choisir de patrie. Et comme le serpent sous les fleurs, de ramper malicieusement dans l’ombre pour mieux jaillir et mordre exactement là où on l’attend le moins: cette fois au cou, entre la tête et le coeur, dans l’artère vitale du bonheur.

"C’est vrai. J’ai plus envie d’aborder la beauté que le désespoir, confie Perreau. De nos jours, on fait beaucoup dans l’ironie, dans le cynisme, l’humour noir et la désillusion. Je suis un écorché, et je ne suis pas dupe de ce qui se passe autour de moi, mais j’ai bien plus envie de regarder au-delà de ça et d’aborder la beauté et l’espoir."

On pense tout de suite à C’est beau comme on s’aime, une chanson d’amour d’une superbe simplicité, au premier degré de la passion. Mais mieux encore, il y a sur cet album quelques véritables morceaux de bravoure: l’humour d’une pièce d’ouverture comme Le président danse autrement, une charge anti-Muzak qui se drape dans des arrangements kitsch – pensez Bertrand Burgalat – donnant l’impression que la main gauche ignore ce que fait la main droite. Et aussi le parfait décalage de L’amour se meurt où Perreau fait le pénible constat, les poings en l’air, sur une musique triomphale qui fait un bras d’honneur à toute tentative de sombrer dans le pathétisme.

"Ce serait trop facile de se contenter de dire: ben oui, on s’en va dans le mur, insiste-t-il. Je veux aussi dénicher la lumière, même si elle est toute petite. J’aime beaucoup Charles Bukowski, justement parce que derrière le gros bâtard alcoolo, il y a quelque chose de tendre, de lumineux. Seulement, il faut chercher pour trouver ça, derrière les frasques et les trucs plus spectaculaires."

LE PÉRIPATÉTICIEN

Ça tombe pile, Perreau aime bien chercher. "Des fois, les gens pensent que je niaise parce que je marche plusieurs heures ou que je vais courir pendant que le reste du monde travaille. Mais quand je marche, ça marche aussi dans ma tête", raconte-t-il.

Après avoir autant mariné dans l’esprit de son auteur, le résultat aurait pu être une créature farouche, plus ou moins accessible, et c’est pourtant le contraire qui se produit. "Je pense que c’est mon album le moins hermétique", avance Perreau, sans se tromper. "Il est plus accessible, poursuit-il avec prudence. Mais je ne crois pas non plus qu’il soit racoleur ou démago. Il me semble qu’il y a une sorte d’ouverture…"

"C’est aussi mon disque avec le plus de collaborateurs", fait-il remarquer, comme si une chose expliquait l’autre. Des convives, c’est vrai, il y en a. Et pas les moindres. Parmi les pointures invitées, on remarquera les ex-Dears George Donoso III et Martin Pelland, le collaborateur de M et Camille Sébastien Martel, et Olivier Langevin, super-héros consacré de la six cordes qui, en dehors de ses propres projets, prête son jeu féroce et sa Telecaster à quelques-uns des plus grands auteurs-compositeurs du Québec. Mais surtout, il y a Alex McMahon qui cosigne avec Perreau la réalisation, un complice dont Perreau dira que c’est en quelque sorte lui qui fait de ses rêves une réalité.

LE BEAU RISQUE

C’est l’autre bonheur d’Un serpent sous les fleurs: son souffle. Du genre à vous jeter par terre dès les premières chansons tellement les arrangements sont riches, les rythmiques, contagieuses et le volet pop de certaines mélodies, parfaitement assumé.

C’est d’ailleurs le mot d’ordre de ce disque: assumer.

"C’est ce qui fait la différence, je pense, dit Perreau. Une chanson engagée comme Le Bruit des bottes (écrite avec Dédé Traké, tout comme Le Pays d’où je viens) ou une chanson d’amour très premier degré, très "dans ta face" comme Beau comme on s’aime, c’est risqué. Ça peut être quétaine. Mais le truc, c’est de l’habiter, d’assumer l’engagement, d’assumer la simplicité du texte, des sentiments."

Voilà Perreau qui marche sur le fil, surplombant les écueils, regardant droit devant pour conserver l’équilibre. Tout est là pour que le spectacle soit parfait: le talent, le souffle, le coeur. Et la bravoure de toucher aux choses simples en risquant qu’elles lui fassent perdre pied.

À écouter si vous aimez /
Dumas, Alain Bashung, Pierre Flynn