Pagliacci et Gianni Schicchi : Mourir sur scène
Pagliacci et Gianni Schicchi, le doublé qui lance la 30e saison de l’Opéra de Montréal, est une réussite sur toute la ligne, un vrai triomphe.
Le soir de la première, la réaction des spectateurs au doublé programmé par l’Opéra de Montréal pour ouvrir sa 30e saison a été plus que favorable. Un tonnerre d’applaudissements amplement mérité. La mise en scène d’Alain Gauthier – qui nous avait déjà donné Suor Angelica en 2006 et Le Barbier de Séville en 2007, deux productions mémorables – est vigoureuse, souvent violente, ou alors cocasse, et toujours pleine d’intelligence. Reliant ingénieusement les deux oeuvres, elle est éminemment théâtrale et portée par des interprètes qui refusent de faire les choses à moitié, ce qui n’est pas si courant à l’opéra.
Dans Pagliacci (1892), de Leoncavallo, histoire d’amour et de jalousie, le vrai et le faux s’entremêlent, la vie et le théâtre s’entrelacent de manière comique, mais aussi tragique. Nedda (Marie-Josée Lord) est en relation avec trois hommes: Canio (Marc Hervieux), son mari jaloux, Tonio (Gregory Dahl), qui lui déclare son amour avec insistance, pour ne pas dire violence, et Silvio (Etienne Dupuis), son amant qu’elle aime de tout son coeur. Vous avez là tous les ingrédients pour que la tragédie naisse. Si la drôlerie est aussi au menu, c’est que Nedda, Canio et Tonio sont les comédiens d’un théâtre ambulant spécialisé dans la commedia dell’arte.
Quand les villageois sont rassemblés pour assister au spectacle de la troupe, la comédie se teinte de gravité, mais surtout d’un cruel réalisme. C’est que les amants ne jouent plus, ou alors ils jouent leur propre vie. La scène de ménage n’aura jamais si bien porté son nom. Nous sommes alors en présence d’un très beau cas de mise en abyme: la pièce dans la pièce cristallise le drame des amoureux.
Dans Gianni Schicchi (1918), de Puccini, farce désopilante, parfois même burlesque, et pourtant pleine de sagesse, Marie-Nicole Lemieux vole la vedette. Au centre d’une famille qui s’entredéchire pour l’héritage d’un proche richissime qui vient de passer l’arme à gauche, la mezzo-soprano est truculente. Dans le rôle-titre, un personnage digne du Scapin de Molière, Gregory Dahl est tout aussi irrésistible. Le décor d’Olivier Landreville, qui mise avec beaucoup d’efficacité sur les conventions du théâtre, est une pure splendeur. Il faut voir comment la scénographie du second opéra s’introduit dans celle du premier! Avec les costumes de Joyce Gauthier et les éclairages de Claude Accolas, l’émerveillement est total. Si le doublé est à l’image de la 30e saison de l’Opéra de Montréal, on se délecte déjà.