Les Trois Accords : Quatre garçons dans le vent
Entre deux Festivals de la poutine qu’ils organisent chaque automne à Drummondville, les membres des Trois Accords ont enregistré leur troisième album, intitulé Dans mon corps. Une histoire de fillette, de chanteur soul, de Beatles et de conviction.
Situé dans le quartier Rosemont, le repaire des Trois Accords n’a rien de très chaleureux. Quatre murs de briques industrielles fades avec, au centre, un joyeux bordel d’instruments, d’amplis, d’ordinateurs et de sofas. Outre un immense rideau composé de plusieurs centaines de disques compacts recouvrant presque la totalité d’un mur, une oeuvre dans laquelle se dessine le visage d’un homme, la décoration n’est pas la spécialité du quatuor occupé à se faire prendre en photo par la lentille d’un concurrent lors de mon arrivée. "Ce ne sera pas trop long, les gars ont presque terminé, me lance le gérant Olivier Benoit. Généralement, le local de pratique est plus en ordre que ça."
Il y a moins d’un an, Olivier aurait été sous l’oeil de l’objectif avec les autres membres du combo. Chanteur avec Simon Proulx depuis les débuts de la formation en 1997 (pensez à cette voix grave et plus maniérée), le musicien a décidé de se consacrer à la gérance des Trois Accords à temps plein en mars 2009. "On a fondé le groupe alors qu’on était encore au secondaire", m’explique Simon, une fois la séance photo terminée. "Je ne pense pas qu’Olivier avait en tête de faire carrière en musique. Chaque fois qu’on préparait un nouvel album, il réévaluait la possibilité de quitter le groupe. Comme il a étudié en droit, il a repris le band en main lorsque notre ancien gérant est parti, un geste tout à fait naturel."
UNE REALISATION DE GRAND CHAMPION
Outre le fait d’avoir été composé à quatre, Dans mon corps atteste plusieurs changements pour Les Trois Accords, dont cette nouvelle exploration musicale marquée par l’apparition de cuivres, de mellotron et de violons dans des pièces s’éloignant parfois du rock ou du country auxquels les Gros Mammouth album et Grand Champion international de course nous avaient habitués. Le premier extrait radio, Caméra vidéo, s’inscrit dans une lignée crooner descendant d’un Pierre Lalonde. Elle s’appelait Serge prend une tournure soul Motown, tandis qu’une lourdeur grunge accable Club Optimiste. "Lors de l’enregistrement de nos deux premiers albums, on restait fidèle au son d’un groupe rock. Cette fois, on s’est dit que si on imaginait des cuivres dans une chanson, on en mettrait sur l’album. Le fait d’ouvrir cette porte nous a justement permis de voir notre musique autrement. Enregistrer l’album avec Gus Van Go (ex-Me Mom and Morgentaler aujourd’hui réalisateur pour Vulgaires Machins, Chinatown, The Stills, Priestess) nous a aussi permis de voir nos compositions avec plus de sérieux."
"Gus aime travailler avec des mélodies, poursuit le batteur Charles Dubreuil. C’est le fondement même de sa motivation. Ce qui l’intéressait dans Les Trois Accords, c’était justement de prendre un groupe mélodique aux textes absurdes pour l’amener à un niveau musical professionnel et plus sérieux."
Entendons-nous, Gus Van Go n’a pas permis aux Trois Accords de se réinventer et de signer leur Ok Computer. Oui, la production de ce troisième album est plus étoffée, mais on y reconnaît toujours la signature du groupe: des rythmes rapides, des refrains archi-accrocheurs, des voix nasillardes, une bonne dose de rock et des textes truffés d’images cocasses.
C’est d’ailleurs en influençant la livraison des paroles que Gus a véritablement créé une petite révolution au sein de la troupe. Rappelez-vous l’accent dans la voix de Simon lorsqu’il interprétait les Hawaïenne ou Saskatchewan, cette manière qu’il avait de mordre dans les mots. À tout coup, nous retrouvions ce chant très emphatique. Comme si, conscient de l’absurdité de ses textes, le chanteur se devait de les livrer avec plus de théâtralité que de réelle conviction. Selon Charles, le groupe serait retombé dans le panneau, n’eût été de Gus. "Je me souviens lorsque Simon est arrivé avec Caméra vidéo, il la chantait comme un vrai tonton. C’est à force de l’interpréter en studio que tout a changé. À chaque prise, Gus et son assistant Werner F. lui demandaient de la chanter avec plus de sérieux, jusqu’à ce qu’on atteigne un équilibre parfait entre joke et sérieux. On a soudainement compris que s’il y a quelque chose de vraiment drôle dans un texte absurde, la joke va prendre sa place d’elle-même. Pas besoin de la pointer du doigt en utilisant des accents dans la voix. Pour nous, c’est devenu une manière de respecter davantage notre musique. Au lieu d’envoyer le message: "Ben oui, on est Les Trois Accords pis on est cave de même", on arrive à interpréter nos chansons avec moins de dérision."
SUFFIT D’Y CROIRE
En transformant cette dérision en conviction, Les Trois Accords accentuent l’efficacité des textes de Dans mon corps, sans doute leur album le plus drôle. "Dans mon corps / Dans mon corps de jeune fille / Il y a des changements", chante Simon dans la pièce-titre. L’interprétation est convaincante, une fillette vit bel et bien à l’intérieur du chanteur. "Tant que les moutons produiront de la matière / Je tricoterai dans le Cercle des fermières", scande-t-il avec émotion dans Pull pastel. Cette sincérité atteint son paroxysme dans Nuit de la poésie, le témoignage d’un type qui a vécu l’expérience de sa vie lors de ces soirées souvent trop cérébrales et moroses. "Je trouvais ça très drôle d’imaginer quelqu’un qui, dans une nuit de la poésie, vit autant d’émotions que s’il était dans un concert rock très intense. Cette réaction inappropriée dans un milieu plus posé m’intéressait. Je le voyais serrer tout le monde dans ses bras. Suer toute l’eau de son corps. Le fait aussi qu’il raconte son histoire au passé ajoute au côté très assumé de la chanson. Le gars a tellement tripé qu’il en parle le lendemain à son chum: "Mon gars! Les nuits de la poésie, c’est MALADE!!!""
Combinés à la pochette du disque (où l’on aperçoit un chanteur soul en transe) et à ces photos évoquant les Beatles prises pour Voir, ces nombreux personnages féminins, masculins ou à la sexualité ambiguë donnent l’impression que Les Trois Accords souhaitent être tout, sauf Les Trois Accords. "Non, je ne pense pas, rétorque Simon. Faudrait pas charrier. Oui, plusieurs de mes personnages vivent des histoires révélant une certaine ambiguïté de leur personnalité. J’ai d’ailleurs fait le lien en lisant les textes en cours du processus d’enregistrement. C’est devenu le fil conducteur de l’album. Le titre a été choisi en fonction de cette ligne directrice, tout comme la pochette. Puisqu’on voulait pousser la joke encore plus loin, on a choisi cette photo de pochette très très plausible, où l’on voit quelqu’un d’autre que Les Trois Accords."
Et les Beatles? "Avec les années, les Beatles ont prouvé la fiabilité de leur concept", répond le bassiste Alexandre Parr avec tout le sérieux du monde. "Tu ne peux pas te tromper en t’inspirant d’eux. En plus, paraît que c’est ben payant d’être un Beatle."
Les Trois Accords
Dans mon corps
(Indica/Outside)
LES PHOTOS DE CAMERA VIDEO
Premier extrait de Dans mon corps, la pièce Caméra vidéo a rapidement atteint la première position des palmarès de nombreuses radios commerciales de la province. Impossible de ne pas siffloter l’air cuivré de son refrain contagieux. Derrière cette mélodie, se cache un des textes les plus cérébraux des Trois Accords; une histoire inspirée de deux clichés du photographe français Henri Cartier-Bresson: Derrière la gare Saint-Lazare et Café-terrasse, boulevard Diderot. "La chanson met en scène un photographe raté qui n’a aucune sensibilité artistique et qui ne le réalise même pas lorsque quelque chose de magique se déroule devant lui, explique Simon Proulx. À deux reprises, il se retrouve devant des scènes identiques à celles des deux photos de Cartier-Bresson, mais ce n’est pas assez hot pour lui. Or, quand il voit une jolie fille, là c’est hot. Tellement qu’il sort sa caméra vidéo."
JEUNES MUSICIENS DU MONDE
Rare occasion de voir Les Trois Accords en spectacle d’ici à ce qu’ils entament leur tournée québécoise en février, le groupe s’étant gracieusement joint à la pléiade d’artistes qui fouleront la scène du spectacle-bénéfice de Jeunes musiciens du monde le 16 octobre, à l’Impérial de Québec.
À moins que vous ne reveniez tout juste d’un très long périple autour du globe qui vous aurait mené dans des contrées aussi sauvages qu’éloignées, vous connaissez sans doute l’organisme fondé par les frères Blaise et Mathieu Fortier. Ses écoles à Québec, à Montréal et dans la communauté autochtone de Kitcisakik offrent des cours de musique gratuits, tandis que celle de Kalkeri, en Inde, accueille des pensionnaires qui y reçoivent une éducation musicale traditionnelle indienne, ainsi que scolaire.
C’est à la fois la cause et le caractère jubilatoire de l’événement qui permettent à l’organisme, pour une huitième année, de réunir un aussi riche bouquet d’artistes. Parmi eux, en plus des Trois Accords, vous pourrez voir et entendre Vincent Vallières, Tricot Machine, Martin Léon, Papa Groove, Thomas Hellman, Nicolas Pellerin, Ian Kelly, Apadooraï et Coral Egan, qui se produiront sous les bons auspices d’Antoine Gratton, d’Éloi Painchaud et du groupe Suroit, qui feront prendre la mayonnaise en tant que groupe maison.
Parlant bouffe, si vous préférez les mondanités caloriques, le cocktail dînatoire de l’organisme se tiendra la veille (donc le 15, toujours à l’Impérial). Il mettra en vedette, entre autres, La Bottine Souriante et Lynda Thalie. Renseignements: www.jeunesmusiciensdumonde.org. (D. Desjardins)