Enrico Macias : Le cul entre deux chaises
Musique

Enrico Macias : Le cul entre deux chaises

"Je suis encore en vie, ils ne m’ont pas encore tué!" Lorsque Enrico Macias lance ces paroles avec fierté, on imagine qu’il évoque les péripéties professionnelles de ses 50 ans de carrière, mais il n’en est rien.

Qui pourrait croire qu’il faut prendre au pied de la lettre cet artiste de variétés lorsqu’il parle de sa mort? Qui peut soupçonner, à l’entendre chanter Les Filles de mon pays ou Bambino en duo avec la pâle Dalida, qu’on a souvent voulu lui faire la peau? "L’OAS (Organisation armée secrète française) et le FLN (Front de libération nationale algérien) voulaient me tuer, lance Enrico Macias. Hé bien, ils n’ont pas encore réussi."

En fait, la nostalgie de J’ai quitté mon pays et d’une bonne partie de son répertoire propret goûte moins le sucre que le sang et les larmes dégoulinant d’une des guerres d’indépendance les plus sauvages du 20e siècle. Et cette Algérie, qu’il quitta en 1961 tout comme un million de concitoyens français, le rattrape encore. Jusqu’à l’interdire de séjour lorsqu’il veut y effectuer une visite officielle avec son ami Sarkozy en 2007: "Je suis le number one adoré d’Algérie, mais certains extrémistes n’ont pas encore surmonté cette ancienne période tourmentée."

Tout cela s’estompe lorsqu’il amorce sa carrière d’exilé européen. En 1963. Il chante les femmes et la fraternité, se fond dans les variétés françaises, s’adapte à l’époque. Entre Sardou, dont il a la chevelure abondante, et Claude François, dont il porte le jean pattes d’éléphant, il n’y a guère qu’un petit accent et sa remarquable maîtrise des instruments à cordes qui le différencient pour les exilés qui se pressent à ses concerts: "La musique est universelle, les arbres dans le vent font tous la même musique. Mais bien sûr, il faut utiliser certains ingrédients pour devenir important."

Collection de 45 tours certifiés platine, les années 70-80 passent comme un flash. Il fait autant dans la restauration que dans la chanson.

En 2003, Macias, qui est en voie de devenir matière à karaoké, imagine des spectacles qui évoquent ses années de musicien prodige, ses 15 ans, dans les orchestres arabisants de sa ville d’origine, Constantine. Il fait le Liban, copine avec des chanteurs raï. La même année, il chante en arabe la moitié d’un formidable spectacle à l’Olympia, très proche de la tradition arabo-andalouse, "avec 15 musiciens qui pourraient être mes enfants", dit-il.

Le temps est à la world music, mais Macias revient sur le devant de la scène surtout par le biais de la politique. Il se dit gauchiste, mais appuie l’ouverture de Sarkozy. En 2006, il est décoré par le ministère israélien de la Défense "… pour son soutien à l’État d’Israël et à son armée tout au long de sa carrière…".

Grosse controverse. Car Gaston Ghrenassia est juif, citoyen français, algérien dans l’âme… mais, comme il le dit lui-même, "israélien dans mon coeur et solidaire de mon peuple".

En 2009, à Gaza, une manifestation s’organise en province lors d’un de ses concerts. À la télé, un petit-fils d’Algérien pro-palestinien s’exclame, perplexe: "Il est algérien! Pourquoi il n’est pas avec nous? C’est un des nôtres!" Lui, 72 ans, blanchi, avec ses yeux tristes de basset, me répond: "Bien, celui-là, qu’il fasse comme moi. Je soutiens tous ceux qui sont dans la tourmente. Israël, Gaza, on est ensemble pour tout et tous. Pas pour un seul pays. L’égalité, c’est ça ma politique."

À voir si vous aimez / Michel Sardou, Serge Lama, Claude François