René Lussier : Moulin à musique
René Lussier nous parle de création et revient sur sa carrière originale. Après le gigantesque Moulin à images, il s’attaque aux sept péchés capitaux.
C’est alors que je marche avec René Lussier, proche de l’avenue Cartier en direction d’un resto, qu’il m’explique quel genre d’animal il est. Pas évident vu le parcours de cet artiste touche-à-tout, qui a fait ses classes en tant qu’improvisateur de marque, qui a fréquenté les John Zorn et autres têtes d’affiche internationales de la musique actuelle, et qui par ses talents de compositeur est devenu un incontournable pour les cinéastes et documentaristes du Québec. "Je suis un autodidacte, résume-t-il simplement. Je ne me suis jamais identifié comme un musicien de musique actuelle. Ce que je fais, c’est de la musique de création et de la musique semi-populaire."
Sa dernière oeuvre: la trame sonore du Moulin à images de Robert Lepage. "Avec le Moulin, on se retrouve en face d’un phénomène rare, constate-t-il. Ça a rejoint beaucoup de monde! Toutes ces personnes n’étaient pas des amateurs de musiques fuckées. Et pourtant, tu regardes tous ces gens qui assistent au spectacle, qui sont mis en contact avec ces ambiances musicales, et ça marche. C’est extraordinaire!"
Pas de doute, cette expérience fut marquante pour le compositeur. Un projet qui l’a accaparé pendant trois ans. Trois années de travail intensif qu’il ne pouvait refuser. Une expérience nouvelle, sous toutes ses formes. "Dans la mesure où tu travailles dans l’anarchie, mais avec un peu de luxe, c’est quand même au boutte! Dans ces circonstances, tu as les moyens de laisser les choses apparaître. Elles se réalisent et tu as le temps d’y mettre du soin. Par contre, c’était impossible de prévoir quoi que ce soit dans cette aventure. Tout se passait au jour le jour, en aller-retour. Tu reçois une nouvelle séquence d’images et tu te mets à table pour que ça marche. C’était beaucoup de bricolage musical."
René Lussier constate aussi que, pour lui, tout se passe à Québec ces temps-ci. Dernier projet en cours, un concert au Musée de la civilisation, en marge de l’exposition 7 Péchés. Quand le Musée parle au diable! Une exposition portant sur les sept péchés capitaux: la luxure, la gourmandise, la colère, l’avarice, la paresse, l’orgueil et l’envie. Pour l’occasion, carte blanche en main, l’artiste s’est offert une rencontre avec six musiciens. Un monstre à sept têtes. "Je ne voulais pas imposer à chacun d’entre nous un thème en particulier, précise-t-il. Par exemple, un musicien qui personnifierait un péché. Je pensais à ça, et je me suis rendu compte que le péché capital, c’est l’envie. L’envie domine et motive. Je ne sais pas encore ce que sera ce concert. Je n’ai pas encore déterminé les règles qui vont encadrer les improvisations non plus. Par contre, avec ces musiciens-là, je suis sûr d’être surpris."
La pianiste jazz Marianne Trudel, Nancy Tobin (électronique), la "défroquée du classique" Lori Freedman (clarinette), Martin Tétreault (tourne-disque), le "baroqueux" Pierre-Yves Martel (viole de gambe) et le batteur du groupe Voivod, Michel Langevin, accompagneront le guitariste. Lussier y voit une chance de communiquer autrement et il ne peut cacher son enthousiasme, sa curiosité.
Une curiosité qui prend parfois le dessus sur tout. Prenons par exemple le disque Le Trésor de la langue, réédité en 2007 sur étiquette La Tribu avec plus de 100 minutes d’inédits. Un travail musical sous forme de documentaire audio qui s’est avéré un hommage à notre langue, mais aussi un travail d’archiviste gigantesque. "Je voulais savoir d’où je venais, affirme-t-il. Au niveau politique, sur le plan traditionnel aussi. Je suis issu d’une génération où l’école faisait vraiment dur. Les cours d’histoire… Disons qu’il y avait pas mal de sujets interdits. On ne pouvait même pas parler du FLQ!"
De cette expérience, il se rappelle les réactions suscitées par sa recherche. Plus de quatre années passées à consulter les archives de notre passé. "J’ai sorti ça en 1989 et je me suis rendu compte que ça a fait paniquer ben du monde pour rien. Ce n’était pas fait pour choquer. Lorsque j’écoutais le matériel, la seule question que je me posais, c’était: qu’est-ce qui me parle? On "éditorialise" toujours un peu. Si tu écoutes Maurice Duplessis, qu’est-ce que tu vas garder? Moi, j’ai choisi un extrait où il faisait clairement de la propagande anti-autochtone. Il disait que les Iroquois étaient des traîtres et des destructeurs! C’est fort!"
"Moi, j’ai fait ça comme un cinéaste. Les gens ont vu ça comme un travail linguistique, des fois comme un travail politique, d’autres comme un travail anthropologique. Au fur et à mesure… Je m’impressionnais!" conclut-il en riant.
À écouter si vous aimez /
Fred Frith, Bill Frisell et Marc Ribot