Charlotte Gainsbourg : 5:56
Musique

Charlotte Gainsbourg : 5:56

Après le très aérien 5:55, Charlotte Gainsbourg rejoint nul autre que Beck et revient à la charge avec IRM, tout aussi gracieux, mais plus éclectique.

Lorsque s’est répandue la rumeur à l’effet que non seulement Charlotte Gainsbourg allait travailler avec l’un des ficeleurs de chansons pop les plus ingénieux de sa génération, mais qu’en plus, le fruit de cette collaboration comprendrait la reprise d’un "classique de l’underground québécois" (voir encadré), un enthousiasme étonné a gagné tous ceux qui avaient craqué pour l’album 5:55.

On connaissait l’érudition musicale de Beck, sa francophilie et le respect qu’il voue à Serge Gainsbourg, mais ce match est une initiative de Charlotte. "Au bout d’un moment, ma maison de disques m’a relancée, m’invitant à penser, doucement, à des idées de collaborations pour le prochain album. Tout naturellement, Beck m’est venu en tête, d’abord parce que je l’admire. Je l’avais croisé avant de commencer à travailler avec Air; nous avions le même réalisateur (Nigel Godrich). J’ai recroisé Beck quand son père (David Campbell) s’est chargé des arrangements de cordes pour 5:55, et puis quelques autres fois encore à des concerts…"

Au bout de cette rencontre inattendue, un album éclectique, beaucoup plus nuancé que 5:55, embrassant un vaste registre (tendances pop, touches de rock un peu plus sales, chansons mélodieuses-lyriques) qui révèle une Charlotte pas qu’éthérée. "Lors de notre première rencontre, Beck m’a demandé quel son j’avais en tête pour l’album. Je ne voulais m’enfermer dans aucun style en particulier. J’avais l’impression qu’avec lui, je pouvais tout me permettre, et j’ai justement voulu travailler avec lui parce que j’apprécie son éclectisme… Ça m’amusait d’emprunter sa culture à lui; Beck a une manière d’écrire très imagée, il fait beaucoup référence à la culture et aux paysages américains, aussi bien dans l’écriture que par la musique."

L’Américain en renouvellement constant a tout écrit et composé, cousu du sur-mesure pour Charlotte Gainsbourg qui demeurait à ses côtés, lui faisant part de ses flashs impressionnistes, partageant avec lui de petits morceaux de poèmes d’Apollinaire, pour l’alimenter à sa manière.

IRM, titre de l’album, c’est aussi cette grande boîte dans laquelle on fait entrer un humain pour lui faire passer un test d’imagerie par résonance magnétique et dans laquelle Charlotte Gainsbourg s’est retrouvée à l’automne 2007 après un grave accident de ski nautique. "Il faut trouver une échappatoire quand on est coincé dans ce cylindre pendant un quart d’heure… Moi, j’arrivais à m’évader en écoutant tous ces bruits; c’était très chaotique, ça passait d’un rythme à un autre, il y avait des coups de marteau et des sons robotiques qu’il me paraissait très possible d’intégrer à de la musique." Résultat: la rythmique bondissante, un brin patraque, de la chanson IRM, "beckienne" malgré tout.

Une certaine noirceur – dans les textes, surtout – traverse l’album. 5:55 était trop bleu-gris vaporeux pour qu’elle s’y déploie… "Je me suis laissé gagner par les humeurs que j’avais. La période qui a suivi le tournage du film de Lars von Trier (Antichrist) a été euphorisante pour moi parce que tellement extrême… Mais quand tout s’est arrêté, c’est comme si j’étais sortie d’un rêve. Je suis passée d’un isolement à un autre, de l’Allemagne, où on tournait, à Los Angeles, qui n’est pas forcément une ville facile quand on est seule. Je me suis retrouvée sans ma famille pendant un moment, et dans ce temps-là, j’ai tendance à piquer un peu du nez." Ces humeurs mélancoliques, on ne les rencontre pas si souvent chez Beck, mis à part sur le superbe et élégant Sea Change. "Je pense que je tirais Beck vers le bas et que lui avait tendance à essayer de m’aider à me relever. Sans dire qu’on est devenus les meilleurs amis du monde, c’est une collaboration qui a fonctionné; une sorte de chimie subtile et discrète s’est installée entre nous."

Charlotte Gainsbourg
IRM
(Because Music / Warner)
En magasin le 8 décembre

À écouter si vous aimez /
Cat Power, Jane Birkin, Beck

ooo

Beck, Charlotte Gainsbourg et… Jean-Pierre Ferland

IRM comprend une reprise du Chat du Café des artistes, chanson tirée de l’album Jaune, de Jean-Pierre Ferland. "C’est Beck qui m’a fait découvrir Ferland. Ça avait l’air tellement naturel pour lui de sortir ça de son tiroir, voilà, comme s’il avait toujours vécu avec. C’est un morceau hallucinant et ça ne m’étonne pas que ça lui ait plu. Il ne comprenait pas forcément le texte; je le lui ai traduit. Je trouve que dans l’enregistrement original, il y a beaucoup d’humour; moi, j’ai moins réussi à rendre cet aspect et je le regrette un peu. J’espère qu’on ne va pas croire que je me prends au sérieux d’un seul coup, à parler comme ça de la mort des artistes… J’étais tellement emballée par ce morceau! J’ai fait ce que j’ai pu avec mes moyens."