Fred Pellerin : Cette voix
Que de beauté dans le Silence de Fred Pellerin. Découvrez l’autre voix du conteur, chanteur à ses heures.
Cachez votre étonnement si vous n’avez pas vu venir la belle offrande feutrée qu’est Silence, disque fraîchement lancé par Fred Pellerin. "Y a ben du monde qui me dit: "Ah ouin, tu chantes?", rapporte le conteur. Pour moi, dans ma tête, c’était clair que je chantais parce que déjà, j’avais fait un disque avec mon frère Nicolas, mais surtout parce que je chante à chaque soir." Dans ses spectacles de conte qui cartonnent d’un bout à l’autre du Québec (et désormais, de l’autre côté de l’Atlantique), il pousse effectivement la note pour quelques chansons. "Ce qui surprend, c’est que ça détonne du Fred qui conte. J’espère juste que la surprise est dans le sens positif du thermomètre."
Sur cet opus, exit le répertoire traditionnel. Alors que l’album conçu avec son frère misait sur la complainte, Silence crée une bulle d’introspection, de quiétude, de recueillement. "Y a pas de chanson à taper du pied. C’est très assis." Il ne s’agit donc pas d’une trame sonore de la tumultueuse vie rurale de Saint-Élie-de-Caxton. "Là, c’est du personnel. L’album est Caxton dans sa création, mais pas dans le contenu. C’est davantage sur les sentiments que sur le patriote caxtonien."
"Ça dépasse le rural dans le rapetissement, poursuit-il. C’est plus cuisine ou salon." C’est son ami Jeannot Bournival qui s’est chargé de la réalisation. "On a voulu que ça sonne chaud. Ça s’écoute le matin en pantoufles, ou le soir quand le battement cardiaque retrouve le rythme du domicile."
FONDS DE TIROIRS
Les 12 chansons qui forment le chapelet Silence, Fred Pellerin les a prises dans ses tiroirs. "On ne s’est pas assis pour construire un disque. On a enregistré des tounes qui sont devenues un disque." Plusieurs reprises sont du périple. Celle de Mille après mille vient d’une commande de l’animatrice Monique Giroux. "C’était la réponse de moi pis mon frère à sa demande de chanson fétiche. Au lieu de faire entendre un disque de Willie, on l’avait montée à notre façon." Quant à Quand vous mourrez de nos amours de Gilles Vigneault, Pellerin l’a d’abord interprétée lors d’un anniversaire organisé pour le grand homme de Natashquan. "Ça lui allait que je donne ce swing à la toune. Sinon, j’aurais pas osé tremper là-dedans." L’approbation est également venue pour Douleur, cette fois de la fille de Félix Leclerc. "Ces chansons apportent au conteur une jouissance dans le mot, dans le verbe… Ce sont des diamants d’histoires."
Parmi les joyaux de Silence, les textes de David Portelance scintillent tout particulièrement quand Pellerin se les met en bouche. "Ses tounes, je les ai abordées avec autant de respect et de grandeur que celles de Vigneault et de Leclerc." Le conteur a emprunté Au commencement du monde et Tenir debout à cet auteur-compositeur-interprète encore dans l’ombre (mais plus pour longtemps). "Il y a quelque chose de l’fun à faire des covers de trucs qu’on ne connaît pas. J’trouvais ça cool de repasser sur de l’anti-hit."
Seulement trois compositions de Fred Pellerin ont trouvé une place sur l’album. C’est que le verbeux conteur ne considère pas avoir une aisance naturelle pour l’écriture de chansons. "J’imagine que quand t’es Séguin ou Desjardins, tu peux trouver un beau refrain dans les p’tites affaires du quotidien. Ils ont un angle dans le regard." Pour le Caxtonien, tout dépend de la table de conversion en unités de tounes. "Le réel peut avoir sa conversion d’unités en tounes, mais moi, cette table-là, je ne la connais pas. Ma table de conversion, c’est celle du conte. Moi, je n’ai pas une régularité dans l’éjection de tounes. Je n’ai pas le réflexe du "tounable"."
LA NOBLE CHANSON
Pour le conteur, la chanson possède une noblesse qui impose qu’on la manipule avec soin. "Quand j’y touche, j’y fais attention. C’est moins artisanal. C’est un format reconnu. Moi, j’arrive d’un hors format. Le conte, il n’a pas de gala. Il n’est pas télé-diffusable ou radio-diffusable. Le conte, il est out", explique celui qui planche sur un deuxième scénario de film pour faire suite au grand succès de Babine. "Quand j’t’arrivé au cinéma… tabarouette! Le 7e art! Le conte, c’est le 22e artisanat!"
Questionné sur sa voix, sur son appréciation de celle-ci, le Fred chanteur chancelle. "Je ne sais pas… Chu pas une grande voix. Je ne performe pas vocalement. Je suis conscient de ça." On le rassure, car on n’a que faire des performances vocales réglées au quart de tour. La voix de Pellerin est touchante, pleine de grâce. "Je mets dedans ce que j’ai. Je veux y mettre autre chose que des vocalises. J’essaie de jouer l’honnêteté, pis la sincérité."
LE CHALET
L’été prochain, Fred Pellerin donnera une série de concerts à Saint-Élie-de-Caxton. Ces spectacles devraient être les seuls véritables tours de chant pour celui qui veut miser sur le conte. "Je n’ai pas de plan. J’y vais au pif. Là, ça bourre dans la tondeuse, mais mon plaisir demeure dans le conte, dans ce délire langagier que je me suis construit. Je ne sais pas si je peux le faire ailleurs."
"J’ai un chalet que j’aime, illustre-t-il. Là, je m’en vais en voyage de pêche dans un autre chalet, mais mon chalet, ça va toujours être mon chalet." Pour Pellerin, chaque mot vaut mille images.
Fred Pellerin
Silence
(Disques Tempête)
À écouter si vous aimez /
Gilles Vigneault, J-F LaMothe, David Portelance