Dumas : 1 x 5
Musique

Dumas : 1 x 5

En pleine crise du disque, Dumas a lancé cinq albums studio au cours des douze derniers mois. Première entrevue en un an et demi avec un artiste qui nage à contre-courant dans une industrie en profond questionnement.

Il y a longtemps que Voir court après une entrevue avec Dumas. Déposée en novembre 2008 à la sortie de Nord, premier d’une série de quatre disques plus expérimentaux au tirage limité, notre première demande avait été refusée. "Dumas est isolé en studio. Il ne parle à personne", nous avait répondu son attachée de presse Marie-Christine Champagne des disques La Tribu. Puis il y eut ces premiers concerts peu de temps après la parution de Rouge, deuxième compact de la série, en mars 2009. Autre refus. L’artiste a enfin décidé de rompre son mutisme médiatique la semaine dernière pour nous accorder sa première entrevue en un an et demi. Le sujet: la parution de Traces, son quatrième "vrai" compact en carrière, en vente à compter du 1er décembre.

4 MINI-ALBUMS

Nerveux à l’idée de briser le silence – "t’es le premier journaliste que je rencontre depuis des lunes, j’espère ne pas être trop rouillé" -, Dumas revient sur cette idée audacieuse de lancer quatre albums en moins d’un an. "D’abord, je ne vois pas Nord, Rouge, Demain et Au bout du monde comme des disques officiels. Je les considère davantage comme des mini-albums. Quatre planches de travail qui ont guidé la production de Traces, le digne successeur de Fixer le temps (45 000 ventes depuis sa sortie en 2006)." Tirés à 10 000 exemplaires chacun, est-ce que ces ovnis se sont bien vendus, le public a-t-il répondu à l’appel? "Oui, le monde en a plus parlé que je pensais, et il m’en reste juste assez pour finir de les vendre en concert lors de la prochaine tournée."

Plusieurs facteurs expliquent la naissance de ce projet. "Premièrement, j’avais besoin d’une pause après deux ans de tournée. Je devais arrêter les concerts et les entrevues. Je me suis ainsi isolé en studio, un endroit où je me sens bien, où j’aime prendre mon temps et composer. À la limite, être en studio m’apaise davantage qu’être en vacances. Deuxièmement, je voulais briser le moule. Je ne voulais pas faire comme pour mes trois premiers efforts, soit composer 15 tounes en quatre mois et immortaliser les 12 meilleures sur disque. Mon contrat avec l’étiquette Tacca venait de se terminer, j’allais avoir 30 ans à l’été 2009… Je voulais ouvrir un nouveau chapitre de ma vie."

Dès le jour 1 de l’aventure au studio B de chez Victor, Dumas savait qu’il lancerait, sans crier gare, quatre témoins de la préproduction de Traces. Une manière de garder un contact direct avec son public et, en cette époque où le Web dicte de nouvelles règles de mise en marché, de commercialiser sa musique autrement. "Tout le monde parle de la chute du disque, qu’il est donc difficile de vendre des albums, mais personne ne fait rien. Je me suis dit qu’en lançant quatre mini-albums à édition limitée, je redonnerais un peu d’importance à l’objet. Faire paraître ces maxis m’a aussi permis de financer ma recherche. Un an en studio, ça coûte cher. Aujourd’hui, la baisse de revenus liés au disque force les artistes à trouver de nouvelles manières de financer leurs enregistrements sonores. C’est ce que j’ai fait. Et pour tout te dire, ne pas accorder d’entrevues m’a permis de laisser parler la musique. Les fans avaient un accès direct à ma création, sans tout le décorum qui va autour. Juste de la musique."

1 DISQUE OFFICIEL

Traces contient 13 compositions dont 11 sont déjà parues dans des versions plus brouillonnes sur les Nord, Rouge, Demain et Au bout du monde. Afin de bien distinguer les deux moutures, le chanteur a ajouté quelques mots entre parenthèses aux différents titres. Ainsi, Passer à l’ouest est devenu Passer à l’ouest (au-delà des frontières). Son introduction a été resserrée, la voix, éclaircie et les guitares y ont pris du galon, plus présentes. Même constat pour la chanson Dans un rétroviseur (sachant que le bonheur n’est jamais là où on l’attend), à laquelle on a ajouté de somptueux arrangements de cordes. "J’écoutais les chansons des quatre mini-albums et je choisissais les meilleures. Je prenais les premières versions et je les resserrais, coupais certains passages, réenregistrais des arrangements, ajoutais des instruments. Quelques chansons ont été réenregistrées complètement parce que je n’étais pas satisfait du premier résultat."

"Mes rares concerts donnés en 2009 (deux à Montréal et trois à Québec) m’ont aussi éclairé dans mes choix. Le test ultime d’une chanson, c’est la scène. Et pas juste à cause de la réaction du public. Des fois, en studio, tu enregistres une pièce et tu l’imagines dans toute sa splendeur en spectacle. Mais une fois sur scène, tu réalises qu’elle ne te procure pas l’effet escompté, tu l’aimes moins que prévu. Je me suis aussi arrangé pour que Traces ait une ligne directrice, que l’album demeure compréhensible pour les gens qui n’auraient pas suivi sa production dans les moindres détails."

Si Dumas s’était reclus seul en studio avec son comparse Louis Legault pour la préproduction "de luxe" de Traces, il a ouvert grand la porte à quelques collaborateurs lors du dernier droit. Le guitariste Jocelyn Tellier, le bassiste François Plante, le bidouilleur Carl Bastien, le batteur Marc-André Larocque et les chanteuses Marie-Annick Lépine (Cowboys Fringants) et Catherine Durand comptent parmi les invités. "Pendant un an, Louis et moi nous sommes adonnés à une véritable partie de ping-pong. Nous travaillions souvent séparés sur deux compositions différentes. Nous expérimentions. J’apportais quelque chose de nouveau à une chanson, je la lui envoyais, et il me la renvoyait avec de nouveaux arrangements. Ç’a été très formateur, mais nous nous sommes vite rendu compte de nos limites. C’est pourquoi j’ai fait appel à mes musiciens pour Traces. Pour qu’ils amènent une couleur différente."

À l’écoute du compact, on comprend que l’exploration de Dumas ne l’a pas mené vers une redéfinition musicale comme lors de l’incartade dub d’Au bout du monde. Le musicien nous replonge plutôt dans un univers pop éthéré aux multiples références anglo-saxonnes, bien que le résultat soit plus abouti que sur Fixer le temps. Les mélodies y sont plus directes, les orchestrations, plus ambitieuses, les structures, plus complexes. Quelques chansons n’ont même pas de refrain, une jolie initiative pour un artiste pop. "J’admire des gars comme Paul Weller (The Jam) ou Damon Albarn (Blur, Gorillaz) qui multiplient les projets et n’hésitent pas à prendre des risques. J’ai aussi un gros penchant pour la musique britannique et je l’assume. Pendant mon année en studio, je suis sorti quelques fois pour voir des concerts, dont celui d’Arctic Monkeys à Osheaga. Le travail du chanteur Alex Turner au sein de son projet parallèle The Last Shadow Puppets m’a influencé quant aux arrangements de cordes. Alex est un excellent compositeur, un digne descendant des Kinks et des Jam."

Au fond, c’est un peu ce que cherchait Dumas avec Traces: sortir de sa zone de confort. "Aujourd’hui, je réécoute le disque et je constate à quel point l’album découle d’une quête du bonheur. Mes textes parlent de fuite, de la recherche d’un idéal; et mon bonheur de musicien a passé par l’expérimentation, l’essai, l’erreur et la découverte de mes limites… Et ce qu’il y a de bien, c’est que tout a été immortalisé. Autant la quête que le résultat." Il va sans dire, l’exercice aura laissé des traces.

Dumas
Traces
(La Tribu/Dep)

ooo

UNE COMPILATION "NON OFFICIELLE"

En plus de ses cinq albums studio, Dumas est le sujet d’une nouvelle compilation parue le 23 novembre sous étiquette Tacca, ce qui porte le compte à six disques lancés par l’artiste au cours des douze derniers mois. N’étant plus sous contrat avec Tacca, Dumas n’a jamais été impliqué dans le projet. Pire encore, c’est un ami disquaire qui l’a informé de la sortie imminente de la galette. "Pour te donner une idée, j’ai découvert la pochette de la compilation le jour de sa sortie en magasin." Légalement, Tacca avait un droit de "best of" dans l’entente qui la liait à Dumas. Mais n’empêche, ne serait-ce que pour des raisons morales et éthiques, consulter le musicien avant d’apposer son nom sur une compilation aurait été faire preuve d’un minimum de décence. "Disons que le timing était vraiment poche. Tacca lance la compil l’année où je fais paraître quatre mini-albums, et ce, deux semaines avant la sortie de mon quatrième disque officiel, alors que je me trouve en plein silence médiatique. Ça porte à confusion. Je trouve ça vraiment plate pour les fans. Tacca cherche à leur vendre quelque chose qui va à l’encontre de ma philosophie et ma vision de la musique. J’espère que les gens comprendront que je me dissocie complètement de cette compilation, même si ce sont mes chansons qui s’y trouvent." Quand on dit que l’industrie cherche à vendre des disques par tous les moyens…