Jon Lajoie : Double sens
Jon Lajoie compte parmi les plus efficaces satiristes du Web. Son talent et son audace l’ont propulsé jusqu’à Los Angeles, où il contemple un avenir radieux à la télé et au cinéma.
L’histoire de Jon Lajoie est un peu devenue le symbole de l’époque.
Mieux connu de votre belle-mère pour son rôle de musicien anglo dans L’Auberge du chien noir, ce natif de Saint-Hubert est, du jour au lendemain, devenu une superstar du Web en cherchant surtout à combler le vide.
"C’était l’été 2007, je m’ennuyais, raconte Lajoie. J’étais en vacances de la télé, je n’avais plus de blonde, plus de band. Je me suis acheté une caméra vidéo cheap et je me suis mis à faire des vidéos comme ceux que je voyais en ligne, juste pour passer le temps."
Quelques mois plus tard, ses personnages de rappeurs tragiquement ordinaires ou ses parodies d’infopubs démentes ont été aperçus plus de 200 millions de fois sur YouTube. Une popularité aussi inespérée qu’inattendue qui a forcé Lajoie à s’exiler à Los Angeles, d’où il mène une carrière protéiforme où s’entrecroisent la télévision (il fait partie de l’équipe d’une nouvelle sitcom sur FX intitulée The League), la scène (sur laquelle il mêle stand-up et musique), les vignettes humoristiques en ligne et le cinéma, puisqu’il travaille présentement à la conception d’une comédie musicale qu’il promet aussi loufoque et trash que ses clips.
Trash, peut-être. Mais Lajoie donne aussi dans le commentaire social avec un sens de la satire indiscutable, provoquant à la fois le rire bien gras et le grincement de dents.
"Des fois, c’est vrai que c’est complètement gratuit (rires), mais pour [le sketch] Show Me Your Genitals, par exemple, je voulais exposer à quel point, dans ce qu’on joue à la radio, le contexte musical permet qu’on raconte n’importe quoi. Des trucs qui, autrement, seraient considérés comme racistes ou sexistes. Je me souviens que j’étais au gym quand j’ai eu le flash; j’entendais cette chanson où il était question d’un truc du genre "come and lick that pussy, girl". J’ai pensé faire une chanson qui exprimerait plus clairement ce que disent ces musiciens-là, mais mon personnage serait seulement un peu moins cool, disons."
Le résultat tient du burlesque. Un MC fagoté comme un figurant dans Miami Vice réclame des femmes en général qu’elles lui dévoilent leur intimité, affirmant le plus crûment qu’il ne souhaite ni leur parler ni connaître les détails de leur enfance et qu’il n’a que faire de leur sensibilité ou de leur intelligence, puisqu’il ne peut pas y mettre… sa bite.
"Évidemment, tout le monde ne perçoit pas le second degré (pourtant évident) de la chose. Le plus amusant, c’est qu’à cause de ce clip, j’ai reçu un courriel d’au moins deux groupes féministes canadiens qui me félicitaient de dénoncer le machisme de manière aussi créative, tandis qu’un autre groupe américain me reprochait exactement l’inverse, soit d’encourager la misogynie. Il y a au moins la moitié du monde qui ne comprend pas où je veux en venir. Mais en même temps, je ne revendique rien. Je veux être divertissant; tant mieux s’il y a un message qui passe en plus."
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LE DECALAGE
Parmi les explications du succès de Lajoie, il y a cette manière cool et détachée de prendre la mesure du décalage entre la culture populaire et le quotidien de ceux qui la consomment. "Dans la musique pop, c’est la norme d’être big. Mais quand tu superposes ça avec la vie de tous les jours de tout le monde, c’est juste… absurde. Cette musique ne les représente pas une seconde, mais c’est ce qu’ils écoutent tout le temps. Et bon, si je connecte avec les gens pour ça, s’ils aiment que je parle d’eux, de leur réalité, tant mieux, c’est ce que j’essaie de faire. Au moins pour un an encore, parce qu’après, je vais devenir "coké" et je vais fourrer des putes tout le temps… Tu vas m’appeler l’année prochaine, je vais te parler de mes nouvelles bagues en diamant", délire soudainement Lajoie.