Lhasa de Sela : L’envol d’une fée
L’annulation de tous ses concerts prévus pour 2009 laissait présager le pire. Après une courte période de rémission, la maladie a rattrapé Lhasa de Sela, emportant l’envoûtante chanteuse au visage d’elfe.
Lhasa de Sela avait toujours refusé de parler publiquement de son cancer du sein. Rencontrée en avril dernier, alors qu’elle se sentait assez forte pour assurer la promotion de son dernier album, l’ultime et poignant Lhasa, elle avait évité le sujet tout au long de l’entretien. Ce n’est qu’une fois l’enregistreuse éteinte, dans un contexte off the record, qu’elle avait abordé la question, du bout des lèvres.
Elle était touchante, calme et sereine face à la maladie. Son état s’améliorait, au point de monter sur scène lors du lancement de l’album au Théâtre Corona, mais elle savait le combat loin d’être gagné. C’est sans doute pourquoi elle refusait d’en parler avec les médias. Elle avait dit vivre le cancer en toute intimité, ne se sentant pas assez forte pour recevoir les témoignages d’autres victimes du cancer qui auraient vu en elle une confidente, quelqu’un à qui raconter leur expérience, ne serait-ce que pour l’encourager. Mais Lhasa ne voulait pas que le public l’aborde pour autre chose que sa musique, une attitude typique d’une artiste intègre, soucieuse de sa vie privée.
"Elle était comme ça", confirme la chanteuse Bïa, une amie de longue date de l’Américano-Mexicaine déménagée à Montréal en 1991. "Je me souviens d’une rencontre survenue au début de l’année 2009, alors qu’elle était en rémission. Jamais je ne l’avais vue aussi féminine, aussi rayonnante. Sans vouloir l’interpréter de manière mystique, j’avais vu tout le potentiel créatif et d’émancipation en elle. Il y avait un contraste frappant entre Lhasa, la fille de tous les jours qui n’agissait jamais comme une vedette, et cette persona qui montait sur scène pour nous jeter par terre. Elle était une source de lumière incroyable."
Grâce à sa voix puissante, mais aussi désemparée, Lhasa de Sela aura permis aux Québécois de voir la musique du monde autrement. Lancé en 1997, son premier album, intitulé La Llorona (500 000 exemplaires vendus à travers le monde), s’est retrouvé entre les mains de mélomanes de tous âges et de tous horizons, séduits par son interprétation de complaintes mexicaines. "Son alliance avec le réalisateur Yves Desrosiers (Fredric Gary Comeau, Jeszcze Raz, Richard Desjardins) a ouvert la sensibilité des Québécois à une musique qui n’était pas dans leur langue. Malgré cette barrière, chacun pouvait comprendre l’émotion véhiculée par sa voix."
Yves Desrosiers: "Les belles années que j’ai vécues avec Lhasa ont été remplies de merveilleuses surprises et de moments inoubliables, depuis ma rencontre avec elle, dans la cuisine d’un appart du Plateau à l’automne 1992, alors que j’entendais pour la première fois cette voix à la fois étrange et envoûtante, jusqu’en haut de la pente qui conduisait au succès. Je la remercie de m’avoir fait confiance."
The Living Road (récemment classé troisième meilleur album de musique du monde de la dernière décennie par le quotidien londonien Times) et le disque anglophone Lhasa ont ensuite démontré à quel point cette femme n’hésitait guère à suivre son instinct, quitte à se réinventer. Selon Bïa, "elle était toujours prête à recommencer son travail si elle sentait que le produit final n’était plus sa vérité du moment".
En réécoutant son troisième opus quelques jours après sa mort, on ne peut s’empêcher d’y entendre un folk intime, noir, aux propos teintés par la maladie (les pièces Rising et I’m Going In en tête). Il n’en est rien. Enregistré pendant son combat, mais composé avant que la maladie ne se déclare, l’album témoigne en grande partie d’une rupture amoureuse difficile. C’est pourquoi Lhasa ne voyait pas la nécessité d’aborder son cancer en entrevue. Elle préférait se concentrer sur sa musique. Juste la musique.