Clémence DesRochers : Ne me quitte pas
Musique

Clémence DesRochers : Ne me quitte pas

Clémence DesRochers a tellement fait et refait d’adieux depuis 20 ans que plus personne ne croit à son départ. Ça tombe bien, elle non plus.

Quelques périodes d’écoeurantite aiguë ont bien sûr ponctué ses 50 ans de carrière, mais la pétillante septuagénaire a désormais compris qu’elle ne quitterait jamais totalement son métier, qu’on ne se détache pas facilement de l’essentiel: sa compagne, sa maison, son jardin, ses livres, ses souvenirs. "Chaque fois que je disais que c’était le dernier spectacle, j’y croyais. Mais c’est un monde chaleureux et irremplaçable, ça reste un des beaux moments de la vie. C’est si stimulant de se faire dire qu’on est fine… mais faut le vouloir en maudit."

Certes, les choses n’ont plus tout à fait le même rythme depuis 2007. Depuis cette terrible maladie où elle a "rasé de pertuir pour de bon", Clémence fait moins de stand-up comic – un terme qu’elle déteste -, elle préfère participer à des événements ponctuels ou se raconter dans une série de tête-à-tête publics à la manière de l’Actors Studio.

Durant ces quelques heures où elle répond aussi aux questions de l’auditoire, elle aime à parler d’écriture; de ce qu’elle a fait, de ceux qu’elle lit: "Je n’écris pas des romans; j’écris court, éphémère: des monologues, des nouvelles et des chansons. Mais ça me flatte qu’on ne me reconnaisse pas strictement comme une fille qui fait la folle."

Hourra des villes

Parlant de folie, en ce mardi soir, Clémence DesRochers participe au spectacle de levée de fonds de l’association de création d’art thérapeutique Les Impatients, dont elle est la fidèle porte-parole. Alors que la salle où se tient l’événement est traversée de personnages improbables, tels Serge Laprade, Raôul Duguay ou Martine St-Clair, Clémence, ravissante petite ombre en tailleur noir, se réfugie dans une loge minuscule qui tient plus de l’armoire à balais. "Tiens! Me v’là en train de retourner dans le placard", dit-elle, cocasse.

On y circule d’une porte à l’autre, et certains s’arrêtent pour saluer ce p’tit bout de femme qui, comme ils disent, flatteurs, "n’a pas pris une ride depuis 20 ans". Commentaires vite démentis par la coquette, qui attribue l’illusion aux compétences professionnelles de sa maquilleuse.

N’empêche, on perçoit immédiatement durant ces échanges bon enfant de broutilles, plaisanteries et compliments, l’espèce d’humanité bienveillante qui l’attache aux gens. Des ordinaires qui ressemblent aux personnages de ses monologues: "Je crois que j’ai été la première à m’inspirer de mes proches, de l’actualité féminine, de ce qui se passait autour de moi. J’ai fait parler des femmes effacées, des naïves sans grande culture… C’étaient celles-là que j’avais connues: mes tantes, des voisines, des filles de la factrie d’à côté… Je l’ai fait sans mépris, sans haine… À part les bonnes soeurs, ajoute-t-elle. Ah, celles-là, elles m’ont vraiment fait chier!"

L’aura des chants

"Je suis une chanteuse naturelle. De celles qui chantent avec la parenté et les amis", dit Clémence. Pourtant, si ses chansons sont humbles, elles relèvent autant d’un remarquable classicisme que d’une poésie en demi-teintes qui contraste solidement avec l’humour des monologues. Elle aura écrit, bien jeune, une des plus belles sinon des plus navrantes de toutes les chansons d’ici: La Vie de factrie. Celle-là, dans la veine réaliste d’Aristide Bruant, a bien quelque chose de militant. Mais tant d’autres, très près de la nature paisible, sont des berges où quelque âme triste laisse s’en aller doucement un chagrin déposé au fil de l’eau. "Je suis une fille très mélancolique. J’ai beaucoup raconté mes peines d’amour. Je suis difficilement ravie, difficilement épanouie. Je n’ai jamais été complètement heureuse. Un fond de tristesse dont j’ai hérité de mon père, et de nos enfances réciproques, m’accompagne presque toujours… Tu vois, peut-être devrait-on faire un disque intitulé Chansons pour brailler. Ça fait du bien de pleurer."

2009 fut une année ponctuée d’honneurs. Clémence a remporté le prix Sylvain-Lelièvre de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec et reçu le Prix du Gouverneur général du Canada, tout comme son père Alfred avant elle, en 1931. Une récompense qui l’enchante, autant parce qu’elle la considère "comme un retour d’impôt" que parce qu’elle avait jadis "un p’tit kick pour Michaëlle Jean".

Ces hommages ont parfois apaisé les démons qu’elle tente de chasser tant bien que mal: "Bien sûr que j’ai peur de la mort, mais surtout de ce qui arrive avant. J’ai vu des horreurs, mon père et ma mère défaits… Les gens meurent rarement beaux. J’essaie de ne pas être trop angoissée, d’apprécier les moments où je suis bien. C’est plus difficile en vieillissant…" Silence. "Heu… où en était-on?" Elle raccroche son éternel sourire espiègle de chat du Cheshire et balance, sans gêne: "Ouiiii, où en était-on? Ah, ça, j’en ai beaucoup parlé de mes 32B!"