Kurt Vile : Unions libres
Musique

Kurt Vile : Unions libres

Érudit de la bible du rock, Kurt Vile convie les fidèles à une cérémonie dans laquelle il invoque certains des plus grands esprits musicaux et célèbre d’éblouissants mariages.

Kurt Vile est en retard. "C’est mon genre, ma signature", s’amuse-t-il tandis qu’il traverse en voiture une Philadelphie qui se dépare difficilement de l’épais manteau blanc déposé par deux tempêtes consécutives, ajoutant: "On m’attend en Ohio ce soir, et je n’ai pas encore quitté la ville. C’est bien moi, ça: toujours dans le champ."

On le croit. Cela faisait un moment qu’on poireautait avant de l’obtenir au bout du fil, l’heure fixée pour notre rendez-vous passée depuis longtemps, nos nombreux appels demeurant sans réponse. Jusque-là.

Des minutes employées à décoder la signature musicale de Vile, dont les errances stylistiques forcent autant l’admiration que la multiplication des étiquettes afin de décrire un rock polymorphe, sidérant d’éclectisme.

Sur ses deux albums complets, Constant Hitmaker (2008) et Childish Prodigy (2009), celui qui est aussi connu en tant que guitariste pour The War on Drugs s’ancre profondément dans la tradition rock afin d’accéder à la modernité par un habile mais déconcertant mélange des genres. Couches successives de fuzz façon Crazy Horse, folk confidentiel, délires psychédéliques, désossage "velvetien", noise, mélodies pop joliment décalées, arrangements lo-fi, mais aussi parfois complexes et comme empruntées à un post-rock très ambiant: Kurt Vile a digéré l’histoire du rock des quatre dernières décennies et il nous en livre quelques-uns des plus édifiants passages dans un copier-coller absolument fascinant.

"Ça t’a parfois fait penser à Crazy Horse? Super, je les adore, merci!" se réjouit-il en négociant son chemin sur des routes où le rythme ralenti s’accorde au sien. "Quand même, mon dernier disque est un peu moins dispersé que le précédent, nuance-t-il, mais en même temps, c’est vrai que je vais dans plusieurs directions."

"Je suis avant tout un fanatique de musique, poursuit Vile. Ultimement, sans doute que j’essaie de reproduire ce qu’ont fait tous les artistes que j’admire, en y ajoutant ma voix, ma couleur, ma manière de faire."

Désormais membre de la prestigieuse écurie Matador (Pavement, Mogwai, Jon Spencer, Cat Power, Cornelius, etc.), cet accro des riffs teigneux à la longue crinière de hippie tente maintenant une incursion en dehors des cercles d’initiés qui ont assisté à sa naissance, au grand déplaisir de ces derniers, qui voient ce passage d’une indépendance farouche (Vile réalisait lui-même ses enregistrements, les copiait sur CD-R et les vendait sur la route, au fil de ses spectacles) au confort très relatif d’une maison de disques comme une forme de trahison.

"Comme la plupart de mes amis, j’étais un énorme fan de Pavement quand j’étais plus jeune, donc évidemment, c’est un honneur pour moi de me retrouver avec Matador, qui est une étiquette vivante, avec une personnalité, et qui a une fonction encore importante de nos jours: choisir des artistes prometteurs et les aider avec le marketing, et aussi la direction artistique. Maintenant, les gens peuvent dire ce qu’ils veulent… Mon dernier disque est peut-être un peu plus fini, mais ce n’est quand même pas comme si j’avais décidé de conquérir les masses…"

Une sirène hurle dans le combiné et enterre la voix de Vile qui se délite en fritures. On devine qu’il aurait ajouté que les gars de Nickelback peuvent dormir tranquille, et on l’aurait cru.

À écouter si vous aimez /
Lou Reed, Neil Young & Crazy Horse, Sebadoh