Yannick Nézet-Séguin : La grande conquête
Musique

Yannick Nézet-Séguin : La grande conquête

Yannick Nézet-Séguin nous présente son nouvel orchestre et invite le pianiste Jean-Yves Thibaudet à se joindre à lui. Le chef d’orchestre est au sommet et il partage avec nous cette aventure européenne qui lui sourit.

C’est à l’improviste que nous communiquons avec le chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin. La journée même de l’entrevue, il nous donne signe de vie, alors que les dates de concerts en Europe se bousculent et qu’une tournée américaine se prépare.

Ses nouvelles fonctions à titre de directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam aux Pays-Bas ont bousculé la vie de Nézet-Séguin depuis deux ans. C’est sans compter qu’il joue le même rôle auprès de l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal, une relation qu’il cultive avec l’ensemble depuis 10 ans. Mais surtout, le jeune maestro parcourt l’Europe et les États-Unis à titre de chef invité. Il est le principal chef invité au London Philharmonic Orchestra, il a accompli ses débuts au Philharmonique de Vienne le 30 janvier dernier et il montera pour la première fois sur le podium du Philharmonique de Berlin très bientôt.

ROTTERDAM EN TOURNÉE

Attardons-nous sur le dossier Rotterdam, qui se trouve être son nouveau défi. Il vient à peine de faire paraître un disque avec l’orchestre sur étiquette EMI. Un premier enregistrement – les précédentes productions étant des captations réalisées en concert -, entièrement consacré au compositeur Maurice Ravel. "Les premières sessions d’enregistrement correspondaient aux premières rencontres musicales que j’ai eues avec l’orchestre après ma nomination. Quelques mois à peine après l’annonce officielle. Il y avait de l’électricité dans l’air! On avait encore beaucoup de choses à découvrir les uns des autres. Ce disque est témoin de ce coup de foudre. Ce fut rapide comme l’éclair. Aujourd’hui, lorsqu’on joue cette musique, c’est très différent. Mais ça valait la peine de sortir ce disque en guise de témoignage d’une période unique."

Au moment d’enregistrer ce disque Ravel avec Rotterdam en 2007, il lui fallait mettre de grands souliers et apprivoiser cette nouvelle fonction qui se situe au sommet de la hiérarchie de l’orchestre. "Lorsqu’on assume un nouveau mandat avec un orchestre, l’exercice d’adaptation ne se termine jamais, explique-t-il. Un orchestre, il se renouvelle constamment. C’est un organisme vivant. Ça ne peut pas rester figé dans le temps. Moi, je suis responsable d’une partie de l’histoire de cet orchestre. Cette histoire, je l’écris, j’en fixe les buts et les objectifs en même temps que je découvre l’orchestre. Il faut toujours planifier longtemps à l’avance, alors il y a beaucoup de coups de dés! Par exemple, de me concentrer sur la musique impressionniste française, avec Ravel et Debussy, c’est un coup de dés. L’orchestre n’en avait pas fait beaucoup avant cette première saison. Pour l’instant, les dés sont bons! C’est ça qui est intéressant avec un orchestre, c’est toujours en mouvement."

Son prédécesseur à la barre de Rotterdam est le chef russe Valery Gergiev. Un chef qui a auparavant laissé sa marque au Kirov Opera & Orchestra en Russie. "Changement de chef équivaut à changement de cap. J’ai pu constater, par les enregistrements et certains concerts que j’avais entendus de lui avec l’orchestre, son type de travail. Un travail axé sur la virtuosité, l’éclatement de la masse orchestrale. Il allait chercher des extrêmes dans les émotions et les sonorités. Ma personnalité à moi, tout en étant portée vers une forme d’électricité lors des concerts, m’amène à cultiver une autre discipline, un travail de minutie dans certains répertoires. D’où le fait que nous fassions beaucoup de musique française. C’est un peu ce que nous allons amener au Canada. […] Mon travail cultive aussi une dimension qui s’inspire de la musique de chambre. Cette couleur, elle est très importante pour moi."

C’est en compagnie du pianiste soliste Jean-Yves Thibaudet – qui interprétera le Concerto pour piano et orchestre en ré majeur "Pour la main gauche" de Maurice Ravel – que le chef québécois nous amène son orchestre à Ottawa. Le programme compte en outre les Offrandes oubliées d’Olivier Messiaen et Ein Heldenleben ("Une vie de héros"), op. 40 de Richard Strauss.

ÊTRE À LA HAUTEUR

Alors qu’il n’avait que 22 ans, Yannick Nézet-Séguin faisait ses débuts à l’Opéra de Montréal pour la préparation et la direction des choeurs. Depuis ce temps, on ne compte plus les sommets qu’il a réussi à gravir. Des sommets qui donneraient le vertige à plusieurs autres. À 22 ans, il a aussi rencontré son idole, le légendaire chef d’orchestre italien Carlo Maria Giulini. "Ce qui m’accompagne et m’aide à traverser toutes ces étapes dans ma carrière – qui sont merveilleuses mais qui requièrent beaucoup de travail et me donnent beaucoup de pression -, c’est le souvenir de l’amour pour la musique et les musiciens qu’il portait en lui. On dirait que c’est réducteur ou cliché, mais on doit aimer chaque note que l’on fait! Dans le domaine de la musique symphonique, il y a ce rapport d’autorité chef-orchestre qui est très présent. Les répétitions, les chefs de section. Il y a aussi des jeux de pouvoir. Parfois, il faut mettre tout ça de côté et revenir à l’essentiel. C’est ce que m’a enseigné Giulini."

À écouter si vous aimez / Le charisme de Gustavo Dudamel, la fougue de Leonard Bernstein et l’esprit de Carlo Maria Giulini