Normand Chouinard : Grandeur et décadence
Musique

Normand Chouinard : Grandeur et décadence

Normand Chouinard met en scène Nelligan, d’André Gagnon et Michel Tremblay, pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal.

On ne peut pas dire qu’il y a des masses d’opéras québécois susceptibles de séduire le "grand public". Nelligan, d’André Gagnon, sur un livret de Michel Tremblay, est de ceux-là. Grâce à la notoriété de ses auteurs, bien sûr, mais aussi par son sujet: la courte période de gloire d’Émile Nelligan, véritable trésor national, qui passe entre 18 et 20 ans, à la toute fin du 19e siècle, des cimes de la bohème romantique aux bas-fonds de la folie qu’on enferme.

Il est heureux que l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal ait choisi de monter l’oeuvre de Gagnon/Tremblay pour en célébrer le 20e anniversaire. Et c’est à Normand Chouinard qu’on a confié la mise en scène. Bien connu pour ses nombreux rôles à la télévision, au cinéma et au théâtre, celui qui fut directeur du Conservatoire d’art dramatique de Montréal de 1995 à 2001 n’en est certes pas à sa première mise en scène, mais l’opéra est néanmoins une nouveauté dans son C.V.

"J’avais 15-16 ans et j’aimais l’opéra, se souvient-il. J’y ai été habitué par mon père, parce qu’il aimait en écouter, mais aussi en chanter. Il se promenait dans la maison en chantant des extraits de Gounod ou Massenet, beaucoup d’opéra français. Je n’ai jamais cessé d’aimer ça depuis. Et j’ai même fait de l’opérette aux côtés de Colette Boky!"

Sa brève immersion dans les Variétés Lyriques de Bruno Laplante, à la fin des années 80, a permis à Normand Chouinard de noter les différences de fonctionnement entre la production d’une pièce de théâtre et celle d’un opéra. "Je n’en revenais pas, par exemple, que l’orchestre n’arrive qu’à la toute fin du processus!" Cette fois-ci, il n’aura pas cette surprise, puisqu’il n’y a pas d’orchestre.

En effet, après la création par un ensemble de synthétiseurs, puis une version-concert par l’OSM, cette troisième version de Nelligan bénéficie d’un arrangement d’Anthony Rozankovic pour deux pianos et violoncelle. "Nous recréons intégralement l’oeuvre de 1990, avec une ou deux modifications et quelques petits détails que les auteurs ont acceptés. André Gagnon suit les répétitions et fait des suggestions. Je lui ai demandé quelques minutes de musique pour faciliter un changement de décor; on les a eues le lendemain matin!"

L’opéra s’ouvre sur un prologue qui nous fait voir le poète vers la fin de sa vie, à l’asile, ayant perdu tous ses moyens alors que l’on commence vraiment à s’intéresser à son oeuvre, la visite d’un professeur de littérature devenant le prétexte d’un retour en arrière. "L’évocation du passé, explique Chouinard, se fait grâce aux religieuses de l’asile, qui manipulent des éléments de décor rappelant le passé de Nelligan. Il n’y a rien de réaliste, tout est suggéré."

Le metteur en scène s’est replongé dans l’oeuvre du poète, et il me montre fièrement son exemplaire de l’édition critique des oeuvres complètes, aux Éditions Fides. On a même placé au mur des photos des personnages historiques que font revivre les interprètes. C’est Marc Hervieux qui sera Nelligan vieux, tandis que Dominique Côté interprétera le poète jeune. "Et puis on est bénis, souligne le metteur en scène, puisqu’on se trouve au Monument-National, où Nelligan a lui-même récité ses poèmes!"