Vulgaires Machins : Liberté conditionnelle
Les Vulgaires Machins montent le volume une fois de plus pour réveiller la masse devant les injustices du néolibéralisme. Rencontre avec les guitaristes et chanteurs Guillaume Beauregard et Marie-Eve Roy, des rockeurs en liberté conditionnelle.
Voir: Après avoir vendu 15 000 exemplaires d’Aimer le mal (2002), vous aviez eu beaucoup de difficulté à produire Compter les corps (2006), comme si vous étiez obsédés par l’idée de devoir faire mieux. Compter les corps s’est finalement vendu à 25 000 exemplaires, avez-vous eu besoin d’un psy pour enregistrer Requiem pour les sourds?
Guillaume Beauregard: "Ça a été beaucoup plus facile, quoique j’aie toujours de la difficulté à écrire des textes. J’ai décidé d’écouter mon coeur, de lâcher le côté cérébral pour aller vers le viscéral. J’ai moins cherché à écrire des textes en essayant de les contrôler pour qu’ils soient perçus d’une certaine façon."
Marie-Eve Roy: "On a accepté de lâcher prise. On s’est dit: "Fuck, on fait des tounes et on verra bien." Au lieu de chercher un concept, on s’est juste laissé aller. Le résultat est plus spontané."
Guillaume: "Il est même arrivé qu’on se pointe au local en se donnant une heure pour composer une toune. Ça a donné Presque complet qui ouvre le disque. À un certain point, on en est venu à oublier ce qu’était Vulgaires Machins, ou ce que ça devrait être. Le band n’existait plus, notre background n’existait plus, nos fans et leur éventuelle réaction non plus."
Chose certaine, vos fans ne seront pas surpris. Requiem pour les sourds ramène les Vulgaires Machins dans toute leur virulence et profite d’une réalisation béton qui n’a rien à envier aux productions internationales. Sonner comme NOFX ou Green Day fait partie des objectifs du groupe?
Guillaume: "La musique qu’on écoute provient des États-Unis ou de l’Angleterre. Du rock québécois, j’en écoute pas. Je ne veux pas dénigrer le rock d’ici, mais trop de groupes rock formatent leur son pour jouer à Belle et Bum. Les guitares sont pas trop fortes dans le mix, la voix est en avant. C’est pas notre attitude. Notre but est d’être aussi bons que les groupes punk qu’on aime."
Les Vulgaires Machins existent depuis 15 ans, vous êtes maintenant des musiciens dans la trentaine, avez-vous des modèles pour bien vieillir dans l’univers punk?
Guillaume: "NOFX est un bel exemple. Le groupe est devenu vieux, mais quand tu le vois sur scène, tu sens que les gars ont encore du fun. Les shows sont pas toujours bons, mais l’énergie est positive. Faut aussi arrêter de penser que le punk rock est une musique de jeunes. Quand je parle à des journalistes qui insinuent que le punk est une affaire d’ados, ça me déprime complètement."
Qu’est-ce qui vous donne le goût de continuer: les injustices quotidiennes de la société néolibérale que vous dénoncez dans vos chansons ou les fans?
Guillaume: "Les injustices nous donnent le goût d’écrire des tounes et d’y inclure un message, mais ce sont les fans qui nous donnent le goût de poursuivre en tant que groupe. C’est relié. Les Earl Jones de ce monde peuvent nous donner le goût d’écrire une chanson, mais on ne l’écrit pas pour eux, on l’écrit pour les fans."
Tu fais référence à Earl Jones; les Vulgaires Machins n’ont jamais vraiment pointé quelqu’un du doigt comme le fait Loco Locass. Pourtant, on pourrait s’attendre à ce que le chanteur d’un groupe punk lance plusieurs coups de gueule dirigés…
Guillaume: "Je pourrais bien faire ma grande gueule et tirer sur tout ce qui bouge, mais je trouve que ça diminuerait la portée de notre message. Dans une chanson, j’ai pas envie de m’attaquer juste au Parti libéral en le pointant du doigt."
Marie-Eve: "Ça, on le fait entre les chansons."
Guillaume: "Pour moi, tout est global. Les critiques que l’on adresse au système québécois s’appliquent aussi à ce qui se passe dans le reste du monde."
Marie-Eve: "Dans Texture qui se mange, on parle du boulevard Taschereau. C’est pas pour attaquer le boulevard comme tel, mais une manière de dire que cette rue s’étend à la grandeur du Québec. Des grosses rues commerciales bourrées de restaurants de malbouffe, il y en a partout. On utilise Taschereau car l’image est forte, mais on en a autant contre la Main à Dolbeau. C’est notre culture qu’on critique, pas le Quartier Dix30 qui est un autre exemple de rentabilité à tout prix."
Le titre de votre dernier disque fait référence à l’immobilisme de la population face aux enjeux mondiaux. Qu’est-ce que ça va prendre pour assister à un vrai soulèvement populaire face au système néolibéral?
Guillaume: "C’est ça qui me frustre le plus. Tout est là pour réveiller les gens. Tous les exemples de dérapage sont là pour mener un vrai débat de fond que les médias nous empêchent de mener. Tout y est formaté. La pub est omniprésente et on met de l’avant toutes sortes d’histoires peu importantes pour ne pas s’interroger sur les vrais enjeux. Laraque est congédié! Céline retourne à Vegas! Quand Bob Gainey a démissionné, les grandes compagnies et les politiciens se sont fait dire de profiter de l’éclipse médiatique provoquée par le point de presse pour annoncer leurs mauvaises nouvelles. C’était le meilleur moyen de s’assurer que ces annonces ne prennent pas trop de place dans les médias. Ce n’est même plus dissimulé. Les gens sont conscients du stratagème, mais comme citoyens, on est devenus assez cyniques pour se dire: "Ben coudon, c’est là qu’on est rendu." On ne veut même plus se sortir de ce marasme-là."
"Nous sommes des parasites
Nous sommes des putes
Nous ne sommes qu’un prétexte
Pour vous faire regarder de la pub"
– Extrait de Parasites
Dans la pièce Parasites, vous ramenez le rôle du musicien à un simple prétexte pour faire regarder de la publicité à la population. Plutôt ironique pour un groupe comme les Vulgaires Machins. Votre "nous" est-il inclusif?
Guillaume: "Mets-en. Ma réflexion se base sur les Vulgaires Machins. Pas longtemps après la sortie de Compter les corps, on a passé un été à faire le tour des festivals extérieurs. C’est là que j’ai réellement pris conscience de l’omniprésence de la pub dans ces événements."
Marie-Eve: "Ils mettent même des pubs audio entre les groupes, maintenant."
Guillaume: "Un peu plus et ce sont les commanditaires qui se créent un événement sur lequel ils ont un droit de regard absolu. L’artiste, tu fermes ta gueule et tu prends ton cachet pendant qu’on expose tes fans à notre propagande. C’est devenu impossible de ne pas jouer devant une grosse pub de bière qui tapisse l’arrière-scène. Chaque été, la pub prend plus de place. Mais si on veut faire des shows l’été, on n’a pas le choix que d’embarquer dans la game. On veut que le monde nous entende, donc on le fait main dans la main avec les commanditaires. Au bout de la ligne, nous sommes des putes. À défaut d’être conséquents avec notre philosophie, ben on l’admet. On a le mérite de ne pas être hypocrites."
Qu’est-ce qu’un groupe punk peut faire lorsqu’il est ainsi forcé de rentrer dans le rang?
Marie-Eve: "On se chicane avec un paquet de festivals. À Alma, Guillaume est allé mettre sa guitare devant son ampli crinqué à 10 pour produire un feedback et enterrer les annonces des commanditaires avant notre show."
Guillaume: "La subversion est la seule arme qu’il nous reste. J’ai déjà joué devant une grosse pub de Molson avec mon t-shirt McAuslan. Ils ne peuvent pas encore me dire quoi chanter ou comment m’habiller. Mais on n’est pas cons, on connaît l’utilité des commanditaires. On ne fait pas comme Bérurier Noir, ne pas jouer à la vue d’une seule pub, on veut juste trouver un certain équilibre. J’en ai aussi contre les artistes qui font de la surenchère de cachet. Il y a des rockeurs québécois qui demandent 50 000 $ pour un show dans un festival. Conséquence, le producteur n’a pas le choix que de se mettre à genoux devant les commanditaires pour se permettre ces cachets. Et bien sûr, ces gros artistes n’en ont rien à battre de la pub."
Ça me rappelle quand Kurt Cobain avait mis un t-shirt portant l’inscription "Corporate Magazines Still Suck" lors d’une séance photo pour Rolling Stones. Il souhaitait que Nirvana ne se retrouve pas sur la page frontispice. Ça n’avait pas marché…
Guillaume: "Non, parce qu’un gars au marketing savait que le contre-marketing fait aussi vendre."
On a beaucoup parlé de l’éthique de Loco Locass qui a chanté le même soir pour les lockoutés d’un grand quotidien appartenant à Quebecor et dans l’émission Montréal-Québec diffusée à TVA, aussi propriété de Quebecor. Lorsqu’on est un artiste engagé, nos moindres faits et gestes sont scrutés à la loupe. Tout faux pas est décortiqué et médiatisé. Trouvez-vous ça difficile d’être un groupe à message?
Guillaume: "Quand tu t’exposes, c’est normal de voir les gens réagir à tes agissements. Loco Locass devait s’attendre à susciter la controverse. On revient tout juste de jouer aux Olympiques. Pour une partie de nos fans qui prennent nos textes au pied de la lettre, c’est sûr que ça peut paraître contradictoire pour les VM d’aller jouer dans ce carnaval du capitalisme. Mais c’est pas parce que t’as des convictions, que t’as un désir de changement, que t’as pas besoin de manger. On ne peut pas être intègre mur à mur. Faudrait vivre isolé dans une grotte."
Marie-Eve: "Lorsque les Vulgaires ont à prendre des décisions pouvant soulever un débat éthique, on se consulte et on regarde quelle position on est prêts à défendre. On pense au moment où un fan va nous remettre la décision sous le nez, car ça va arriver un jour ou l’autre. Sera-t-on capable de bien lui expliquer nos motivations? Si oui, go, on le fait."
Quels ont été les pires questionnements du genre en 15 ans de carrière?
Marie-Eve: "Vendre une chanson pour une publicité, mais ça n’arrivera jamais. On serait pas capables de le justifier."
Guillaume: "Ça nous est arrivé un jour de partir pour un spectacle et de se rendre compte en chemin qu’on jouait dans un party organisé pour le gagnant d’un concours de pub de bière. On l’avait échappée, celle-là. On avait visiblement manqué de vigilance. J’ai alors appelé le Refuge des Jeunes pour leur annoncer qu’on leur remettrait la totalité du cachet reçu pour ce show corpo de marde."
On vous a tous deux vus jouer au grand et au petit écran (Guillaume tient le rôle principal dans Demain, un film de Maxime Giroux, et Marie-Eve a joué dans plusieurs courts métrages). Que voudriez-vous être dans 15 ans? Des comédiens en demande ou des punk rockeurs sur une scène à Québec?
Marie-Eve: "Les deux nous intéressent. Le problème, quand tu joues dans un groupe de musique underground, c’est la constante incertitude financière. À 20 ans, tu t’en fous, mais à 30, ça commence à te préoccuper."
Guillaume: "C’est sûr que jouer dans un film nous donne de l’argent pour payer nos dettes, mais on le fait surtout pour l’expérience, pour le challenge. Pour nous, monter sur une scène devant 10 000 personnes n’est plus un défi. Pour demeurer en vie, il faut toujours trouver un moyen de sortir de sa zone de confort."
Vulgaires Machins
Requiem pour les sourds
(Indica)
En magasin le 2 mars