Joanna Newsom : Doigts de fée
Musique

Joanna Newsom : Doigts de fée

Visite rare et précieuse: Joanna Newsom vient faire vibrer nos cordes sensibles et celles de sa harpe deux soirs plutôt qu’un, et lance un album triple… Oui, oui, triple!

La harpiste américaine au minois mutin est de retour sur scène et sur album. Après le magnifique Ys, d’une beauté baroque et atypique qui contrastait effrontément avec un premier effort folk minimaliste (The Milk-Eyed Mender), déployé en cinq pièces d’une durée moyenne de 10 minutes chacune, sur lequel Joanna Newsom ne se refusait rien (orchestre de 38 musiciens, instrument de percussion en crâne de cheval, création d’une petite mythologie intime, choeurs de Bill Callahan), eh bien après cet album paru en 2006 qui nous avait soufflés, on se demandait comment et où elle rebondirait. Son ahurissant sens de la démesure est demeuré intact; revoici Joanna Newsom sur un album triple intitulé Have One on Me.

Premier constat: ces dernières années, son approche de la musique s’est transformée. La harpiste nous fait d’ailleurs à ce sujet une réponse assez semblable à celle d’Owen Pallett – qui lance aussi ce printemps son troisième album et partage avec elle une érudition dénuée de prétention, en plus de composer sur un instrument à cordes avec l’agilité d’un musicien de formation classique: "Instrumentalement, mon approche est moins "soloïstique". Avant, je jouais seule et pour moi-même. Avec le temps, j’ai découvert le plaisir de jouer avec d’autres musiciens; j’apprends à faire partie d’un ensemble, et le fait d’envisager les pièces dans ce contexte m’amène à composer autrement."

La nouvelle offrande de mademoiselle Newsom se présente donc en trois actes. Sans être groupées sous une arche narrative (comme Ys), les chansons sont réunies selon l’atmosphère qu’elles évoquent: "Je voulais qu’on ressente cet album comme un ciel changeant, le soleil qui disparaît momentanément derrière un nuage ou alors le vent qui s’élève de manière subite."

Le résultat apparaît moins homogène que sur les deux précédents opus: "L’orchestration est très différente de Ys puisque la palette instrumentale change d’une chanson à l’autre. En termes de densité d’instrumentation, je dirais que les chansons de Have One on Me sont à mi-chemin entre The Milk-Eyed Mender et Ys." On n’avait jamais autant remarqué le piano, les cuivres et les éléments percussifs chez Joanna, où la harpe régnait autrefois en grande souveraine lumineuse. Dans Kingfisher, la musicienne ressuscite les ancêtres d’instruments modernes: vielle et rebec plutôt que violon, cornet devant trompette, viole de gambe au lieu du violoncelle. "Un ensemble constitué de leurs équivalents modernes les relaie, on alterne entre les deux." Érudite, disions-nous, mais jamais au détriment de la musique.

Ys était en quelque sorte une fleur du mal, la lumière au bout d’un passage trouble; "mon nouvel album me semble moins lourd. L’idée de trouver sa maison, de s’y enraciner, de la quitter puis d’y revenir a nourri l’écriture des textes. Je me suis aussi intéressée, plus concrètement, à l’Ouest et à la Californie. Aussi, un nouveau rapport à l’espace imprègne mes chansons".

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