Tricot Machine : L’étoffe du tricoteur
Trois ans après la parution de son premier album, Tricot Machine revient, l’innocence du débutant en moins. Symboliquement intitulé La Prochaine Étape, ce deuxième disque témoigne d’un processus de composition aussi difficile que réconfortant.
Certains aiment, d’autres pas…
Qu’on les adore ou qu’on les déteste…
Voilà comment s’amorcent la majorité des textes écrits sur Tricot Machine depuis son arrivée dans le paysage musical québécois. Deux formules creuses qui ont trouvé une certaine légitimité lors d’une entrevue accordée par le duo à Tout le monde en parle, en 2007. Sans gants blancs, Guy A. Lepage a rapidement insisté sur les nombreux détracteurs du couple Catherine Leduc / Matthieu Beaumont, faisant référence à une page Facebook amicalement baptisée "Anti-Tricot Machine", à laquelle une centaine de membres étaient inscrits à l’époque.
"La question nous a plutôt déstabilisés, avoue Catherine près de trois ans après l’événement. À ce moment-là, je ne savais pratiquement pas c’était quoi, Facebook. Qu’est-ce que tu veux qu’on réponde à ça? C’est sûr que c’est pas le fun…"
Révéler à plus d’un million et demi de téléspectateurs que 100 utilisateurs de Facebook détestaient Tricot Machine a déclenché quelque chose dans l’opinion publique. Le nombre de visiteurs a bien sûr explosé sur la page haineuse, mais soudain, c’était comme si détester Tricot Machine était bien vu, une sorte de défoulement contagieux, spontané.
Une place aux antipodes
Naïf, enfantin, Passe-Partout, bébé, gnangnan… Tout a été dit. Assez pour que les deux principaux intéressés cessent de lire les articles les concernant. "Règle générale, on a été chanceux. De nombreux textes fort élogieux ont été écrits à notre sujet, précise Catherine. Mais lire des opinions diamétralement opposées, parfois dans le même journal, nous a mélangés. Il s’est dit tellement de choses sur Tricot Machine. Des trucs réfléchis, sensés, des affirmations gratuites, des jugements de valeur. Il a fallu prendre du recul et se recentrer sur nos repères: notre famille, nos amis."
"Je trouvais ça dommage parce qu’on n’avait provoqué personne, poursuit Matthieu. À la limite, on a fait plus de bien que de mal, mais on a quand même exaspéré certaines personnes, qui ont eu besoin de le dire publiquement. On s’est exposé, et dans ces cas-là, tu ne peux pas plaire à tout le monde."
Reléguer l’opinion publique aux oubliettes a été le premier pas vers le processus de composition de La Prochaine Étape, successeur du premier disque éponyme vendu à près de 40 000 exemplaires. "Notre premier album est un bijou de création, confie Catherine. Une collection de chansons confectionnées en toute liberté, sans aucune arrière-pensée. On nous a qualifiés de naïfs, c’était évident. On ne savait pas ce qu’on faisait à l’époque. C’était des chansons composées sans savoir qu’elles deviendraient publiques un jour. Cette fois, on s’est questionné jusqu’à ce qu’on réalise qu’on n’avait aucune emprise sur la perception de Tricot Machine. Faire une pause pour composer un nouveau disque n’est pas facile. Pendant deux ans, tous les projecteurs sont braqués sur toi. Soudain, ils s’éteignent tous en même temps, et tout est à créer. T’es pris avec tes peurs, tes appréhensions, tes insécurités. Tu dois arriver à tout mettre de côté et produire un disque qui te ressemble."
Plusieurs chansons de La Prochaine Étape témoignent de cette réflexion. Le constat est bien sûr criant dans la pièce-titre, mais aussi flagrant dans Défier les rites et J’ai des allumettes. "Et au risque de déplaire / Faisons ce qui nous semble bon", y chante la musicienne. Si parler de la pression entourant la composition d’un deuxième album est devenu un cliché journalistique récurrent, difficile d’en faire abstraction dans le cas Tricot Machine. À preuve, les nombreux soupirs poussés par Matthieu sur les maquettes que le duo a remises l’an dernier au réalisateur David Brunet (Coeur de Pirate, Daniel Boucher, le premier Tricot Machine). "Je compose les chansons à la maison, où je les enregistre pour les faire entendre à David, explique le pianiste. On a remarqué qu’à peu près toutes les maquettes se terminaient par un long soupir… "C’tu bon? Qu’est-ce qu’on va faire avec celle-là?" C’est après avoir composé La Prochaine Étape, Défier les rites et Radar que j’ai compris la ligne directrice du disque."
Sérieuses, lyriques et profondes, à l’image des Peaux de lièvres ou du Trou immortalisées sur le premier compact, les trois pièces donnent le ton à un CD plus mature. Les arrangements de cuivres ont fait place à des partitions de cordes, et la présence accentuée de choeurs ajoute au spectre sonore. On y sent toujours une naïveté, mais celle-ci demeure plus rafraîchissante qu’enfantine. Les fans ne seront pas dépaysés, et les détracteurs ne trouveront pas de nouvelles munitions pour attaquer la bonté utopiste ou la convivialité exagérée du combo. Matthieu: "Composer ces trois pièces nous a permis de savoir ce qu’on voulait. Les Mitaines, c’est une bonne pièce, on va continuer de la jouer, mais si elle avait été composée dans le processus du deuxième disque, elle aurait été écartée."
Auteur de quelques textes sur le précédent gravé, Daniel Beaumont, le frère de Matthieu, reprend du service et signe la touchante Avalanche, un bijou de chanson fataliste dans la lignée d’Un monstre sous mon lit ou d’Ambulance. Le cinéaste-musicien Stéphane Lafleur a fait aussi don d’un texte, Une bûche après l’autre, une analogie bien ficelée entre la mort d’un père et la combustion de bois de chauffage. Le sentiment d’appartenance à une équipe revient aussi fréquemment dans les paroles. Couple dans la vie, Catherine et Matthieu forment un noyau dur au sein de Tricot Machine. L’union sert de force créatrice, mais aussi de soupape. Pour Catherine, "faire face à la pression médiatique à deux est beaucoup plus facile. Chacun sait comment l’autre va réagir, chacun sait comment réconforter l’autre. Je pense à Coeur de Pirate et je me demande comme elle arrive à survivre au tourbillon. Nous sommes deux et avons 30 ans. Elle est seule et a 20 ans"…
La colle et le bâton
Malgré cette quête de maturité musicale, l’imagerie Tricot Machine reste bien ancrée dans l’artisanat. De quoi irriter certains pour qui le bricolage est l’affaire de bambins de 3 ans, d’éducatrices bienveillantes et de CPE de quartier. En collaboration avec le graphiste Atanas Mihaltchev, le groupe a développé une pochette de disque incluant une collection de figurines à confectionner, par lesquelles sont représentées les 14 chansons. En combinant ceci à des vidéoclips axés sur l’imaginaire et aux nombreuses séances photo où le duo a dû se plier au jeu de photographes interpellés par son aura candide, Tricot Machine est, avouons-le, aux antipodes de la virilité. Une situation qui n’affecte en rien le chromosome Y de la formation. "Je trouve plutôt qu’on conserve un bon contrôle sur notre univers à travers les pochettes, les photos, les couvertures de disques, les vidéoclips. Poser au milieu de fleurs ne me dérange pas. C’est pas trop viril, mais c’est pas fifille non plus. Je suis pas mal plus hippie que punk. J’ai pas besoin de tatouages ou d’éclairs pour me sentir homme. Notre présentation artistique est ludique, organique et sincère. J’ai jamais senti ma virilité en danger."
Qu’on les adore ou qu’on les déteste, Tricot Machine nous fera retomber en enfance lorsque nous découperons cette pochette. L’arc-en-ciel dessiné dans un coeur semble plutôt facile à fabriquer.
Tricot Machine
La Prochaine Étape
(Grosse Boîte / Select)
En magasin le 16 mars
À écouter si vous aimez /
Beau Dommage, Richard Desjardins, Coeur de Pirate