Rufus Wainwright : Après le déluge
Musique

Rufus Wainwright : Après le déluge

Rufus Wainwright met ses grands airs de côté sur All Days Are Nights: Songs for Lulu, un disque intimiste, solo, piano/voix. Après l’aventure titanesque de Prima Donna, après la mort de sa mère Kate McGarrigle, Rufus revient à l’essentiel.

Trois ans et demi que Rufus Wainwright parcourt le monde. La tournée qui a suivi la parution de Release the Stars (2007) l’a amené dans plus de 20 pays, dont le Japon, Israël, le Brésil, l’Islande. Trois ans et demi ponctués également par l’écriture de son opéra francophone Prima Donna présenté en grande première à Manchester (Angleterre), en juin 2009. Une oeuvre qu’il avait décrite comme "une véritable bataille, dans le bon sens du terme", lors de notre dernier entretien. Mais plus que tout au monde, cette période fertile restera gravée dans la tête du musicien de 36 ans comme les dernières années passées avec sa mère, Kate McGarrigle, décédée du cancer le 18 janvier de cette année.

Durant tout ce temps, l’écriture de son sixième studio, All Days Are Nights: Songs for Lulu, aura été un exutoire vital. "Après ce tourbillon, revenir avec un disque solo au piano me semblait la meilleure chose à faire. C’est une manière de me reconnecter avec moi-même, et de reconnecter mon public avec l’essence pure de Rufus Wainwright, l’artiste. Je trouve aussi que ce disque solo s’inscrit bien dans l’air du temps. On vit une période de récession où tout le monde revoit son budget et ses attentes à la baisse. On dit parfois que moins est mieux (less is better). En 2010, less is necessary."

Un dernier tour de piste

Toujours lyriques bien que dépourvues d’arrangements épiques et grandiloquents, les 12 chansons de la fournée sont marquées au fer rouge par la mort de la mère du clan Wainwright. Sur la poignante Martha, Rufus s’adresse directement à sa soeur, lui confiant son inquiétude à l’égard de l’état de santé précaire de Kate. Bien que consacrée à un premier amour d’adolescence, Zebulon fait aussi référence au séjour à l’hôpital de maman. "Au même moment où j’écrivais le disque, Martha et moi faisions notre possible pour passer le plus de temps possible avec notre mère. Elle nous a accompagnés un peu partout dans le monde. Elle m’a suivi pendant plusieurs segments de la tournée pour Release the Stars. Elle est venue à la première de Prima Donna, ce qui était l’un de mes objectifs principaux lorsque j’écrivais l’opéra. Elle a vécu la naissance du fils de Martha. Elle était à son mariage. Nous la savions malade, mais sa santé lui permettait encore de voyager. Nous en avons profité au maximum. Comme Martha et moi avons des vies super occupées, nous n’avions pas toujours le temps de voir Kate, mais disons que nous nous sommes rattrapés pour le dernier tour du monde de maman. Nous ne passions pas notre temps à pleurer et à se dire: "Oh mon Dieu, tu vas mourir." C’était un non-dit duquel nous arrivions à faire abstraction."

Rufus n’a-t-il jamais pensé à prendre une pause pour avoir le temps de vivre son deuil plutôt que d’affronter l’oeil du public avec la sortie d’All Days Are Nights: Songs for Lulu? "Je crois être toujours sous le choc. Si j’arrête de nager, je vais me noyer. Je suis en mode bataille. Après tout, je suis dans la fleur de l’âge, et le milieu dans lequel j’évolue ne me permet pas de respirer. Tout va si vite dans l’univers musical. Il y a une nouvelle saveur du mois chaque semaine. Pour l’instant, j’arrive à vivre le deuil de Kate grâce aux conseils d’un ami. Ce dernier m’a raconté qu’après sa mort, le défunt surveille tout ce qui se passe sur terre. Il veille sur ses proches, s’assure de les guider dans la tourmente. Je fais donc confiance à ma mère. Je sais qu’elle va arranger les choses comme elle le veut. C’est difficile de comprendre en plein processus, tu t’interroges sans cesse sur la suite des choses, mais au final, tu vois où le défunt voulait en venir."

Rufus Wainwright
All Days Are Nights: Songs for Lulu
(Universal)
En magasin le 23 mars

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Mais qui est cette Lulu?

Incluant l’adaptation musicale de trois sonnets de Shakespeare (tous tirés de la pièce de théâtre Sonnette de Robert Wilson) ainsi que Les Feux d’artifice t’appellent, extrait de Prima Donna, All Days Are Nights: Songs for Lulu intrigue d’abord par son titre. Mais qui est cette Lulu? "C’est la femme fatale cachée en chacun de nous, celle qui incarne le danger. Certains trouvent ça sexiste de me voir associer le danger à une femme, mais il est tellement présent en moi, tellement vivant, que je dois l’imaginer pour mieux lui faire face. Et, que veux-tu, ça adonne que je le vois en femme… Ce n’est pas que je veuille détruire la femme, au contraire. Le danger, c’est excitant. Ça nous attire, mais ça nous détruit en même temps. On doit le tenir à distance. C’est notre Némésis."